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“Les nominations des membres du Conseil constitutionnel”, par Marine ROCHEBLAVE, Eva TEXIER et Alexandre DEMOREUILLE

Robert Badinter avait un jour affirmé que la principale qualité d’un magistrat est l’ingratitude à l’égard de celui qui l’a nommé[1]. Or, l’entrée au Conseil constitutionnel de personnalités « trop fraîchement » sorties du gouvernement ou de ses arcanes institutionnels est sans nul doute de nature à contredire une telle assertion. 

Les trois nouveaux noms proposés pour siéger au Conseil constitutionnel ont été annoncés, mardi 15 février 2022, par le président de la République et les présidents des deux Assemblées. Tout d’abord, Emmanuel Macron a proposé de nommer Jacqueline Gourault, alors ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Ensuite, Richard Ferrand (La République en marche), président de l’Assemblée nationale, a proposé la magistrate Véronique Malbec, alors directrice du cabinet du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. Enfin, Gérard Larcher, président (Les Républicains) du Sénat, a proposé pour sa part François Seners, alors conseiller d’Etat. Les commissions des lois des deux Assemblées ont donné leur aval après les auditions de ces trois personnalités, celles-ci ont remplacé, le 14 mars, trois femmes en fin de mandat, Claire Bazy-Malaurie, Nicole Maestracci et Dominique Lottin.


[1] LE POURHIET A.-M., Droit constitutionnel, Corpus droit public, Economica, 11ème éd., 2021, p. 563.

Le Conseil constitutionnel, une institution politisée ?

Le Conseil constitutionnel siège à Paris, dans l’« aile Montpensier » du Palais Royal, l’autre aile est occupée par le Conseil d’État. Installé officiellement début mars 1959, il a commencé à statuer en avril. Depuis lors, il a rendu plus de 6 000 décisions dont notamment 1 698 décisions au titre du contrôle de constitutionnalité des normes et 3 869 décisions en contentieux électoral[1]. Ainsi, le Conseil constitutionnel s’est progressivement mué en véritable gardien des libertés[2]. Il n’en demeure pas moins que cette institution ne fait pas l’objet d’un consensus. Le Conseil constitutionnel serait, selon certains détracteurs, un organe politique et cela en raison du mode de nomination des conseillers et, corrélativement, sa composition. Or, cette crispation n’est en rien récente, en témoigne une publication de Charles Eisenmann relative à la première composition du Conseil constitutionnel (« Palindrome ou stupeur », Le Monde, 5 mars 1959). Dans son « Opinion dissidente », René de Lacharrière a soumis l’institution du Conseil constitutionnel et son statut à une critique impitoyable, évoquant en particulier le « pouvoir suprême de censure confié à neuf personnes totalement irresponsables, arbitrairement désignées et, de surcroît, en fait le plus souvent choisies selon les aimables critères de la faveur personnelle »[3]

Les critiques issues de l’actualité récente[4] mettent en exergue que les données n’ont guère changé depuis 1980 (II), puisqu’encore aujourd’hui, le statut du juge constitutionnel français se caractérise par le rôle prépondérant de la majorité politique lors de la désignation des juges et par le pouvoir du président de la République pour la nomination du président du Conseil[5] (I). Or, ces critiques portent directement atteinte à la légitimité de l’institution, contribuant à entretenir « l’ambiguïté qui pèse sur les sages »[6]. Aussi, dans une perspective de droit comparé, semble-t-il plus opportun de dépasser cette crispation afin de mettre en exergue divers aménagements existants (III).


[1] Bilan statistique consultable sur le site du Conseil constitutionnel (mise à jour au 31 décembre 2021).

[2] Dans le rapport d’activité de 2020, il est affirmé que « dans la tempête sanitaire, le Conseil constitutionnel a tenu le cap de la protection des libertés fondamentales ».

[3] De Lacharrière R., « Opinion dissidente », in Pouvoirs n°13, 1980, p. 133 et s.

[4] JACQUIN J-B., « Conseil constitutionnel : trois propositions de nominations politiques qui posent question », Le Monde, 15 février 2022.

[5] Const. 1958, art. 56.

[6] POUCHARD A., « Le Conseil constitutionnel, une institution très politique », Le Monde, 09 janvier 2013.

I. La procédure de nomination – quelques rappels

Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres nommés, ainsi que de membres de droit qui sont les anciens présidents de la République[1].

Les neuf membres sont renouvelés par tiers tous les trois ans[2]. Un tiers est nommé par le président de la République, un tiers par le président de l’Assemblée nationale et un tiers par le président du Sénat. C’est le président de la République qui nomme le président du Conseil constitutionnel.

Le mandat de ces membres est de neuf ans, non renouvelable sauf en cas de succession d’un membre du Conseil démissionnaire ou décédé dans les trois dernières années de son mandat[3]

Dans l’hypothèse d’un décès ou d’une démission, l’autorité de nomination compétente désigne un nouveau conseiller pour la durée du mandat restant à courir[4]

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008[5], la nomination est encadrée selon la procédure du dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution. Selon cette disposition, les nominations du président de la République doivent être soumises à l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions, le président de la République ne peut prononcer la nomination voulue[6]. Les nominations des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont soumises au seul avis de la commission permanente de l’assemblée concernée[7]. Autrement dit, si les trois cinquièmes des suffrages exprimés de l’assemblée concernée émettent un avis négatif, la nomination ne peut avoir lieu.

Les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec les fonctions de ministre et de membre du Parlement selon l’article 57 de la Constitution. La loi organique du 19 janvier 1995[8] est venue préciser que les fonctions de membre du Conseil constitutionnel étaient également incompatibles avec celles de membre du Gouvernement, du Conseil économique et social ou avec l’exercice de tout mandat électoral. Cette loi prévoit également que les incompatibilités professionnelles des membres du Parlement sont applicables aux membres du Conseil constitutionnel (incompatibilité par exemple avec la fonction de magistrat, maire, représentant au Parlement européen, chef d’entreprise…)


[1] Const. 1958, art. 56.

[2] Ibid.

[3] Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 12.

[4] Ehrhard T., Portelli H., Droit constitutionnel, Hypercours, Dalloz, 13e éd., 2019, p. 372.

[5] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, JORF n°0171 du 24 juillet 2008.

[6] Const. 1958, art. 13.

[7] Const. 1958, art. 56 (modifié par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008).

[8] Loi organique n°95-63 du 19 janvier 1995 relative à la déclaration de patrimoine des membres du Parlement et aux incompatibilités applicables aux membres du Parlement et à ceux du Conseil constitutionnel, NOR : INTX9400552L.

II. La procédure de nomination – critiques

Par bien des aspects, la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel a été, et est contestée.

Critiques générales. Les règles générales relatives à la nomination des membres du Conseil constitutionnel suscitent un certain nombre de critiques.

Absence de compétences juridiques obligatoires. Tout d’abord, les membres du Conseil constitutionnel ne sont soumis à aucune exigence relative à leurs compétences[1]. Toute personne peut être choisie pour exercer la fonction. Pourtant, il convient de rappeler que les membres du Conseil constitutionnel, en tant que gardiens de la Constitution, s’assurent par le contrôle a priori et le contrôle a posteriori, de la constitutionnalité des textes[2]. Or, cet exercice demande une juste compréhension du Droit et un raisonnement juridique précis. De surcroît, le Conseil constitutionnel a eu tendance ces dernières années à se juridictionnaliser[3]. Ainsi, l’absence de compétences juridiques obligatoires en parallèle de cette évolution du conseil, apparaît tout à fait contradictoire. Il est donc « hautement critiquable […] l’absence de mention de la moindre condition de compétence juridique des membres du Conseil constitutionnel »[4]. Au contraire, le Conseil constitutionnel assiste à une certaine « déspécialisation » de ses membres. En ce sens, alors que depuis 1959, de nombreux professeurs de Droit avaient été nommés (près de onze membres), ils sont aux abonnés absents depuis octobre 2017[5]. Un Conseil constitutionnel composé d’une minorité de membres ayant des compétences juridiques peu conduire à rendre des « décisions juridiquement fragiles »[6] parce que les personnalités politiques peuvent se montrer résistantes face à la jurisprudence du Conseil ou des autres juridictions. Cela peut poser un réel problème de cohérence du droit.

Choix personnel et politique. Ensuite, de nombreux auteurs et personnalités politiques dénoncent la politisation du profil des membres nommés au Conseil constitutionnel. Il n’est pas rare que la personne nommée entretienne des liens professionnels et partisans avec le président à l’origine de sa nomination[7]. Lorsque le parti politique du président de la République a la majorité dans les deux chambres, l’impact de la couleur politique peut être prédominant sur le Conseil constitutionnel. A cet égard, il est possible de craindre une certaine clémence sur le contrôle des lois portées par la majorité en place[8], et par conséquent, une atteinte à l’exigence d’impartialité et d’indépendance exigée. Pour éviter cet impact politique sur les décisions du Conseil constitutionnel, la récusation est prévue pour qu’un membre s’abstienne de siéger, de sa propre initiative ou non[9]. Néanmoins, nous pouvons regretter que cette protection ne soit pas allée jusqu’au bout. En effet, en son dernier alinéa, l’article 4 dispose que « le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation »[10]. Il n’est donc pas impossible qu’un membre du Conseil constitutionnel ait à juger une loi alors qu’il a lui-même participé à son élaboration et à son adoption. Cela soulève la question de l’impartialité réelle des membres. 

Absence de contrôle effectif. Enfin, l’évolution apportée en 2008 par la procédure de contrôle de la nomination des membres doit être relativisée. Les conditions permettant de prononcer le refus de la proposition de nomination sont très restrictives[11]. « C’est l’exigence d’une approbation de la nomination qui aurait réellement changé les choses »[12]. De surcroît, les membres de la commission vont devoir se prononcer sur un choix fait par le président de l’assemblée dont ils font partis. Ces dispositions questionnent la véritable indépendance des membres de la commission[13].

Le Conseil d’Etat s’est également déclaré incompétent pour assurer le contrôle de ces nominations, considérées comme des actes de gouvernement[14].

Relativisation. Si l’ensemble de ces critiques sont recevables, il convient néanmoins de les relativiser. D’une part, les conditions relatives à l’exercice des membres du Conseil constitutionnel leur garantit une indépendance de fait. Le mandat de neuf ans n’est pas renouvelable, les membres ne sont donc pas tentés d’adopter des stratégies politiques pour être renommés[15], d’autant plus qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une révocation[16]. De plus, le mandat des membres du Conseil constitutionnel a une durée supérieure à celui des personnalités assurant leur nomination. Ce décalage conjoncturel les encourage à respecter leur « devoir d’ingratitude ». Leur indépendance est également consolidée par la situation sociale des personnes choisies. Il s’agit majoritairement de personnes âgées de plus de 60 ans, dont la fonction exercée au Conseil constitutionnel constitue leur fin de carrière[17].

D’autre part, la pratique a permis de révéler les atouts du fonctionnement actuel de la procédure de nomination, ou du moins son absence de dysfonctionnement profond. Il s’agit d’une nomination rapide et efficace. Elle n’est à l’origine d’aucun blocage et évite le recours à un vote politique[18]. Par ailleurs, l’absence de compétences particulières requises crée un conseil mixte, aux profils variés, dont il est possible de prôner la complémentarité[19]. Au surcroît, il convient de reconnaître que les membres ont pour la plupart les connaissances juridiques et sociétales requises pour assurer les missions qui leur sont attribués[20].

Quelques critiques historiques des nominations. Depuis l’existence de la procédure de nomination au Conseil constitutionnel, les critiques ressurgissent à chaque nomination. A ce titre, quelques exemples historiques peuvent être soulevés.

Michel Charasse a été nommé en 2010 par le président de la République Nicolas Sarkozy. Cette nomination a pu être critiquée au vu des liens amicaux qui unissaient les deux hommes[21]. Michel Charasse a cependant clamé qu’aucune pression ne reposait sur le président de la République et que son choix restait libre.

Les 3 nominations de 2010. Les critiques portaient non pas sur la personnalité de chaque nomination mais sur le fait que cette nomination était exclusivement masculine. Il s’agissait des nominations de Jacques Barrot, Michel Charasse et Hubert Haenel. A ce titre, Nadine Morano a trouvé choquant et regrettable qu’il n’y ait aucune femme parmi ces trois nominations[22]

Les 3 nominations de 2013. Dans la même veine, en 2013, trois nominations ont eu lieu. Les deux seules femmes qui siégeaient au Conseil constitutionnel ont vu leur mandat prendre fin. Deux porte-paroles d’associations féministes ont alors écrit une lettre ouverte aux présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat afin de demander la nomination de femmes[23]. Cet appel fut un succès puisque trois femmes ont été nommées cette année-là : Nicole Maestracci, Nicole Belloubet et Claire Bazy Malaurie. 

Alain Juppé. Il a été condamné en 2004 à 14 mois d’emprisonnement avec sursis dans le dossier des emplois fictifs de la commune de Paris[24]. Il n’y a aucun empêchement juridique causé par une condamnation mais on peut y voir un empêchement moral. Pour cette raison, sa nomination a été critiquée en 2019.

Critiques relatives aux dernières nominations. Les dernières nominations de février 2022, ont encore une fois relancé les débats sur la légitimité du choix des membres.

Dominique Gourault. Le choix réalisé par le président de la République, Emmanuel Macron, a soulevé de nombreuses critiques relatives aux compétences de Dominique Gourault, professeure d’Histoire-géographie. En effet, cette femme politique n’a aucune compétence juridique, ce qu’elle a elle-même reconnu lors de son audition devant la commission[25]. Si celle-ci n’a pas refusé sa candidature, le score faible obtenu symbolise l’opposition faite à cette nomination[26].

Véronique Malbec. A l’inverse, Véronique Malbec affiche un parcours professionnel judiciaire accompli. Ancienne magistrate, elle a occupé la fonction de directrice de l’Ecole Nationale de la Magistrature, mais aussi de directrice des services judiciaires sous trois Gardes des sceaux. Elle a également été secrétaire générale du ministère de la justice sous Nicole Belloubet, en 2017[27].  Toutefois, derrière ce profil idéal, des voix se sont élevées pour dénoncer un possible conflit d’intérêt avec le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. En effet, Véronique Malbec était procureur général de la Cour d’appel de Rennes lors de « l’affaire des mutuelles de Bretagne[28] ». Elle était ainsi la supérieure hiérarchique du procureur de Brest à l’origine du classement sans suite de l’affaire[29].François Seners.  La proposition de nomination de Gérard Larcher, président du Sénat est sans nul doute la moins contestée. Le conseiller d’Etat François Seners présente un parcours classique. Néanmoins, en tant qu’ancien directeur de cabinet de Gérard Larcher, il entretient des rapports étroits avec celui-ci[30].


[1] PECHARD A., Les institutions politiques en cartes mentales, Ellipses, 2021, p. 173.

[2] Const., 1958, art. 61 et 61-1.

[3] Code constitutionnel des droits fondamentaux, 2022, Const. art. 56 ; Dominique Rousseau, « Une procédure de nomination toujours discutable », Gaz. Pal., n°254, 19 décembre 2008, p. 101.

[4] WACHSMANN P., « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus Politicum, n°5, 2010, p.4.

[5] Le dernier professeur de l’institution était Nicole Belloubet. Le conseil a également accueilli Robert Badinter, Jacques Robert ou encore René Cassin. 

[6] WACHSMANN P., prec. cit., p. 22.

[7] MELIN-SOUCRAMANIEN F., PACTET P., Droit constitutionnel, Sirey, 40e éd., 2022, p. 549.

[8] Ibid, p. 549.

[9] Décision du 4 février 2010 portant règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, art. 4.

[10] Ibid.

[11]  Const., 1958, art. 56.

[12] WACHSMANN P., prec. cit., p.8.

[13] JENNENEY J., « Parlementaires, utilisez vos pouvoirs dans les nominations au Conseil constitutionnel », Le Monde, 19 février 2022 : utilise l’expression de « juges partisans ».

[14] C.E., 21 janvier 2022, n°460456, AJDA, 2022, p. 192.

[15] CARCASSONNE G., GUILLAUME M., La Constitution, Editions du Seuil, 15e éd., 2019, p. 287.

[16] Ibid.

[17] Ibidem.

[18] « Conseil constitutionnel : au-delà des nominations… », interviews de POUILLARD D., MAUS D., Landot et associés, 27 février 2022.

[19] Ibid.

[20] LE POURHIET A.-M., Droit constitutionnel, Corpus droit public, Economica, 11e éd., 2021, p. 563.

[21] « Charasse et Haenel confirment leur nomination au Conseil constitutionnel », Le Monde, 23 février 2010.

[22] « Morano juge « choquante » la nomination du trois hommes au Conseil constitutionnel », Le Monde, 08 mars 2010.

[23] BLACHE C., MAILFERT A-C., Tribune « Les femmes et le Conseil constitutionnel », Le Monde, 11 février 2013.

[24] « Juppé plaide pour le « droit à l’oubli » avant d’entrer au Conseil constitutionnel », Le Monde, 21 février 2019.

[25] « Compétence juridique et Conseil constitutionnel : Jacqueline Gourault se défend », LCP, février 2022.

[26] JACQUIN J.-B., « Conseil constitutionnel : Le Parlement valide la nomination des trois nouveaux membres », Le Monde, 24 février 2022 ; GARNERIE L., « Conseil constitutionnel : le déclin des juristes », Gaz. Pal., n°8, 8 mars 2022, p. 9.

[27] JACQUIN J.-B., « Conseil constitutionnel : Trois propositions de nominations politiques qui posent question », Le Monde, 15 février 2022.

[28] « Affaire des mutuelles de Bretagne : victoire judiciaire pour Richard Ferrand, qui fait reconnaître la prescription de l’action publique », Franceinfo, 31 mars 2021 : L’affaire des mutuelles de Bretagne avait entraîné la mise en examen de Richard Ferrand pour prise illégale d’intérêts.

[29] JACQUIN J.-B., « Conseil constitutionnel : Le Parlement valide la nomination des trois nouveaux membres », opt. cit.

[30] JACQUIN J.-B., « Conseil constitutionnel : Trois propositions de nominations politiques qui posent question », opt. cit.

III. Perspectives de droit comparé

Chaque renouvellement triennal de la composition du Conseil constitutionnel amène la diversité d’observateurs à se questionner sur la procédure de nomination de ses membres, dénonçant sa dimension politique afférente. Pour cause, dans la perspective d’une institution protectrice des droits, l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel est indéniablement la condition sine qua non de son efficacité. Au-delà, l’indépendance requiert également de solides garanties d’impartialité, eu égard notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Ce faisant, il apparaît que la justice constitutionnelle n’est alors pas une exception à la française et connaît des résonnances européennes. La plupart des États européens ont en effet instauré un contrôle de constitutionnalité exercé par une instance spécialisée. Aussi, dans une perspective de droit comparé, semble-t-il opportun de s’intéresser aux dispositions statutaires applicables dans ces pays. 

En règle générale, la désignation des juges constitutionnels relève de la compétence des instances politiques. Toutefois, divers mécanismes atténuent le risque de politisation des nominations[2]

Une désignation majoritairement dévolue à la compétence des instances politiques. Seule l’Allemagne et la Pologne connaissent un système de désignation exclusivement parlementaire. En effet, les seize membres de la Cour constitutionnelle fédérale sont désignés pour moitié par le Bundestag et l’autre moitié par le Bundesrat, avec une majorité requise des 2/3 dans chaque assemblée. En outre, tous les membres du Tribunal constitutionnel polonais sont élus par les députés. À l’opposé, en Espagne, les autorités de désignation sont plus nombreuses. En effet, chacune des deux assemblées parlementaires choisit quatre des douze juges constitutionnels à une majorité de 3/5, le gouvernement en choisit deux autres. De même, en Italie, le président de la République désigne cinq des quinze juges constitutionnels et les deux assemblées réunies en assemblée commune en choisissent cinq autres.

S’agissant de la désignation du président de la Cour constitutionnelle, seulement quatre pays excluent les instances politiques du processus de désignation. Les juges constitutionnels belges, espagnols, italiens et portugais élisent ainsi le président de la Cour constitutionnelle parmi eux, tandis que la Cour constitutionnelle luxembourgeoise est présidée de droit par le plus haut magistrat du pays. En revanche, en Allemagne, en Autriche, le président est, comme en France, désigné par une autorité extérieure. D’une part, en Allemagne, le Bundestag et le Bundesrat choisissent à tour de rôle le président de la Cour constitutionnelle fédérale, selon la même procédure que celle qui est utilisée pour la désignation des autres juges constitutionnels. D’autre part, en Autriche, la nomination du président de la Cour constitutionnelle résulte d’une proposition du gouvernement fédéral. Cependant, il convient de relever le système polonais qui relève d’une forme d’hybridation. En effet, le président du Tribunal constitutionnel est désigné par le président de la République parmi les deux candidats proposés par l’ensemble des juges constitutionnels. 

Divers mécanismes atténuant le risque de politisation des nominations. En premier lieu, en Espagne, en Italie et surtout au Luxembourg, le pouvoir judiciaire participe à la désignation des juges constitutionnels. En Espagne, le Conseil général du pouvoir judiciaire (homologue du Conseil supérieur de la magistrature) choisit deux des douze membres du tribunal constitutionnel. En Italie, cinq des quinze juges constitutionnels sont désignés par des représentants des juridictions supérieures. Quant à la Cour constitutionnelle luxembourgeoise, elle est composée, d’une part, des quatre plus hauts magistrats du pays, qui en sont membres de droit, et, d’autre part, de cinq autres magistrats, nommés sur avis des juridictions suprêmes. En second lieu, le Portugal fait état d’une procédure singulière dès lors que les autorités exécutives et judiciaires ne sont pas impliquées dans le processus de désignation. Ainsi, le choix s’est porté sur le système de la cooptation afin de limiter le risque de politisation, l’Assemblée de la République désignant dix des treize juges constitutionnels, les trois derniers étant cooptés par les premiers.

Les compétences des juges constitutionnels. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui possèdent une cour constitutionnelle « exigent que l’intégralité de ses membres justifient d’une compétence juridique de haut niveau »[3] à l’exception de la Belgique. En Autriche, tous les membres de la Cour constitutionnelle ont nécessairement des compétences juridiques puisqu’ils doivent avoir fini leurs études de droits ainsi qu’avoir exercé pendant au moins dix ans une profession pour laquelle des études de droit sont requises[4]. En outre, la moitié de la Cour doit obligatoirement être composée d’ancien juges, fonctionnaires de l’Administration ou professeurs d’université enseignant une discipline juridique[5]. En Allemagne également, les juges de la Cour constitutionnelle fédérale doivent « avoir accompli des études juridiques complètes » ainsi que « satisfaire aux conditions d’éligibilité du Bundestag »[6]. On retrouve ces exigences en Espagne, au Portugal, en Russie, en Croatie, en République tchèque… 

Conclusion. L’immobilisme constitutionnel face à la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel questionne. En effet, la redondance des critiques s’additionne à l’accessibilité d’améliorations possibles issues des perspectives comparatistes. Face à ce constat, il convient de s’interroger sur les raisons du maintien de la procédure actuelle. La judiciarisation des membres représenterait une étape supplémentaire du conseil vers sa transformation en une cour constitutionnelle. Or, cette institution n’est pas nécessairement souhaitée par le corps politique[7].

Si la révision de la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel apparaît comme une simple évolution lointaine, a contrario, la constitutionnalisation de la disparition des membres de Droit semble être la prochaine étape à franchir. Cette procédure est vivement et unanimement contestée. Sa suppression a d’ores et déjà été invoquée à l’occasion du projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique » en 2017. La consécration constitutionnelle de cette nouvelle coutume, instaurée par Nicolas Sarkozy depuis 2013, pérenniserait la saine disparition de la présence de droit des anciens présidents de la République.


[1] Cour EDH, 26 juin 1993, RUIZ-MATEOS c. Espagne, req. n°12952/87, §206. – Cour EDH, 16 septembre 1996, SÜSSMANN c. Allemagne, req. n°20024/2, §41. – Cour EDH, 25 février 2000, GAST ET POPP c. Allemagne, req. n°29357/95, §§ 65-66. – Cour EDH, 7 mai 2021, XERO FLOR w POLSCE sp. z o.o. c. POLAND, req. n°4907/18, §§ 203 et s. – Cour EDH, 31 août 2021, ÜÇDAĞ c. Turquie, req. n°23314/19, §29.

[2] Sénat, Étude de législation comparée n° 179 – La composition des cours constitutionnelles, Service des études juridiques, novembre 2007. – GREWE C., « La question du statut des juges constitutionnels », in ROUSSEAU D. (dir)., Le Conseil constitutionnel en questions, Inter-National, L’Harmattan, 2004, p. 77.

[3] WACHSMANN P., « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus Politocum, n°5, 2010, p.14. 

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] PLUEN O., « La nomination des membres du Conseil constitutionnel à la lumière du discours présidentiel de 2010 pour l’inauguration de la QPC », D., Constitutions, n°2, 19 août 2019 p. 201 : Nicolas Sarkozy s’opposait à l’évolution du Conseil constitutionnel en cour constitutionnelle.