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“Le droit de se taire”, par Neslihan KOSEOGLU et Emmanuel ROUX

Définition

« Le silence doit se concevoir comme la liberté de la pensée intérieure, il n’est pas de valeur qui y soit supérieure » énonçait le Doyen Carbonnier (in « Le silence et la gloire », D. 1951. Chron. p. 119). Cela semble d’autant plus vrai que le silence fait l’objet d’une jurisprudence de plus en plus abondante à travers l’examen du droit de se taire. En effet, selon le Larousse, le silence correspond au fait de se taire. Dans la fiction, le droit de se taire est souvent rattaché au cinquième amendement récité par le policier américain plaquant le malfrat sur la voiture en lui déclarant « vous avez le droit de garder le silence ». Mais, qu’entend-on réellement par le droit de se taire ? Le droit de se taire correspond au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence. Droit de se taire et droit au silence doivent donc être compris comme ayant le même sens.

Le droit de se taire, corollaire des droits de la défense

Le droit de se taire est tantôt rattaché à la présomption d’innocence, tantôt aux droits de la défense. En effet, le Conseil Constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) le consacrent sur le fondement de la présomption d’innocence en le liant à la charge de la preuve. Ainsi, d’autres éléments autres que le simple silence du mis en cause seront nécessaires pour fonder une condamnation. A l’appui des droits de la défense, le droit de se taire va aussi être un moyen de se défendre, d’éviter les déclarations hâtives ou maladroites. Le droit au silence implique donc le droit de se taire ou de ne pas « participer à sa propre incrimination ». En conséquence, le silence de la personne mise en cause ne peut suffire à entraîner de condamnation ou à présumer de la reconnaissance des faits commis. Et, il empêche également d’admettre les aveux obtenus par la contrainte et protège ainsi l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, source d’erreurs judiciaires. Ainsi, selon la juridiction européenne, l’accusation doit « fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé »[1] . Concrètement, ce droit permet à celui qui est visé par la procédure de ne pas s’exprimer, ni à l’oral, ni par écrit. 

Le droit de se taire dispose de peu d’assises textuelles. En effet, ni la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ni la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ni aucun texte de valeur constitutionnelle ne le mentionneexpressément. Pour autant, est-ce à dire que le droit de se taire n’est pas protégé ? Au contraire, il fait aujourd’hui l’objet d’une triple protection. D’abord, il est garanti par l’article 14.3, g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui prévoit que « toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité (…) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ». Vient ensuite l’article 6 de la CEDH à travers l’interprétation posée par l’arrêt Murray c. Royaume Uni rendu le 8 février 1996[2] et quelques mois plus tard dans l’arrêt rendu le 17 décembre 1996, Suanders c. Royaume-Uni[3] : la protection de l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités permet d’éviter les erreurs judiciaires. L’accusation doit nécessairement chercher à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé. 

Au niveau interne, après une loi du 15 juin 2000[1] qui instituait le droit de se taire, une autre loi du 18 mars 2003 supprimait ce même droit[2]. Il faudra attendre 2011 pour réintroduire le droit de se taire dans sa formulation de 2001. Cette évolution a été permise grâce à la décision du Conseil constitutionnel en date du 30 juillet 2010 relative à la garde à vue[3]. Ici, le Conseil constitutionnel a censuré le régime de la garde à vue pour deux motifs. Le premier tenait à la violation des droits de la défense et, plus précisément, du droit à l’assistance effective de l’avocat[4]. Le second tenait au droit de se taire puisque la personne gardée à vue ne recevait pas notification « de son droit de garder le silence »[5]. Il est à noter que le Conseil Constitutionnel fait du droit de garder le silence, une garantie à placer sur le même plan que le droit à l’assistance d’un avocat puisqu’après avoir souligné que notre droit restreint à l’excès les droits de la défense, il ajoute « qu’au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence »[6] . L’expression « au demeurant » veut dire « au reste », « d’ailleurs », que l’on peut interpréter comme signifiant « en outre »[7].  L’article 63-1 du Code de procédure pénale (CPP) était donc déclaré contraire à la Constitution. Le Conseil laissait alors jusqu’au 1er juillet 2011 pour la déclaration d’inconstitutionnalité prenne ses effets[8]. Entre temps, la CourEDH avait condamné la France. Le 26 octobre 2002, la cour d’appel de Paris condamnait Claude Brusco à cinq ans d’emprisonnement dont un an avec sursis pour complicité de violences volontaires. Le prévenu avait en l’espèce donné des instructions aux auteurs de l’infraction pour donner une correction à la victime et « lui mettre la pression ». Saisie par l’intéressé, la CourEDH, par arrêt du 14 octobre 2010, constate que Claude Brusco avait avoué les faits lors de sa garde à vue par la police judiciaire, mais n’avait pas été informé, au début de son interrogatoire, de son droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées ou à l’inverse, de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait[9]. La Cour relève par ailleurs que son avocat, qui ne l’a assisté que vingt heures après le début de sa garde à vue, n’a pas pu l’informer, dès le début de la garde à vue, de son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer et n’a pu l’assister lors de ces dépositions. En conséquence, elle estime que « la personne gardée à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires et ce, a fortiori, lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire »[10]. La Cour conclut qu’il y a eu une violation du droit au procès équitable prévu par l’article 6 § 1 et 3 CEDH, s’agissant du droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence. 

Tenant compte de la décision du Conseil Constitutionnel et de la condamnation européenne, le législateur a fait évoluer les droits garantis pendant la garde à vue. La loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a notamment rétabli le droit de se taire et sa notification au cours de la garde à vue qui figure désormais à l’article 63-1 3° du CPP lequel prévoit que « la personne gardée à vue est informée au début de son audition qu’elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Enfin, la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 a visé la nécessité pour les États membres d’informer rapidement les suspects ou les personnes poursuivies de leur droit de garder le silence[11]. En France, la transposition de cette directive a conduit à l’introduction de la notification du droit de se taire devant les juridictions pénales françaises à compter du 2 juin 2014. La loi n°2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive l’a ainsi imposé à tous les stades de la procédure notamment à l’égard du suspect libre[12], le droit de se taire étant alors déjà prévu pour le mis en examen, le témoin assisté[13], le prévenu placé en garde à vue[14], lors de la présentation devant le procureur de la République[15]. Il en va de même devant les juridictions de jugement, en matière contraventionnelle[16], délictuelle[17] ou criminelle[18].

Quelle en était la conséquence pour la jurisprudence ?

Les juges ont établi un principe selon lequel devant la juridiction de jugement la méconnaissance de cette obligation « fait nécessairement grief à la personne poursuivie »[19], quel que soit le degré d’instance. Toutefois, les juges se sont montrés de plus en plus exigeants dans l’application du droit de se taire. Le contentieux s’était très majoritairement focalisé sur l’absence de l’information faite au prévenu. Mais, la Cour de cassation avait notamment pu juger que la mention selon laquelle « le prévenu a été informé de ses droits conformément à l’article 406 du code de procédure pénale » suffisait à s’assurer du respect des droits du comparant[20] .


[1] Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes

[2] Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure

[3] Cons. const. 30 juill. 2010, n°2010-14/22 QPC

[4] Ibid §28

[5] Ibid

[6] Ibid 

[7] J. PRADEL, “Vers une métamorphose de la garde à vue”, Recueil Dalloz 2010, p. 2783

[8] Cons. const. 30 juill. 2010, n°2010-14/22 QPC, §30

[9] D. GUERIN, “Flexibilité du droit européen : arrêts Brusco c/ France et Gäfgen c/ Allemagne”, Recueil Dalloz”2010, p. 2850

[10] CEDH, 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France, (§ 45)

[11] Directive 2012/13/UE du Parlement européen, art. 3, § 1, e

[12]  Art 61-1 du CPP

[13]  Art 113-4 du CPP

[14] Art 63-1 du CPP

[15] Art 393 du CPP

[16] Art 535 du CPP

[17] Art 406 du CPP

[18] Art 328 du CPP

[19] Crim. 8 juill. 2015, n° 14-85.699

[20] Crim. 6 avr. 2016, n° 15-81.206

L’examen régulier du droit de se taire par le Conseil constitutionnel

Droit de se taire et serment de dire la véritéCette consécration du droit de se taire a nécessairement entraîné des répercussions sur l’obligation de prêter serment des personnes en bénéficiant. C’est ce qui ressort d’une décision rendue le 4 novembre 2016 dans laquelle le Conseil reconnaît la contradiction entre ce droit et cette obligation.[1] Le Conseil Constitutionnel était saisi de l’article 153 du CPP qui obligeait les témoins cités pour être entendus dans le cadre d’une commission rogatoire à prêter serment de dire la vérité. Il prévoyait que l’obligation de prêter serment n’était pas applicable aux personnes gardées à vue, mais disposait que « le fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue […] pas une cause de nullité de la procédure ».  La question posée au Conseil constitutionnel était donc la suivante : “la dernière phrase de l’alinéa 3 de l’article 153 du code de procédure pénale porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, précisément, au droit pour toute personne de ne pas s’auto-incriminer inclus dans le principe de respect des droits de la défense qui constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ?”[2] Du fait de son caractère sérieux, la question a été renvoyée au Conseil Constitutionnel qui décida que « faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue de “dire la vérité, rien que la vérité” peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit »[3]. Dès lors, l’article 153 faisait obstacle en toute circonstance à la nullité d’une audition réalisée sous serment lors d’une garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire. La disposition a été abrogée à compter de la date de la décision. Alors que la Cour de cassation se fondait sur l’article 16 de la DDHC, le Conseil Constitutionnel déduit le droit de se taire du principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, selon l’article 9 de la DDHC lequel prévoit que “Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.” Que déduire de cette solution ? Tout d’abord d’un point de vue ratione personae, “seul le suspect est titulaire de ce droit, lequel n’a donc de sens que pour une personne suspectée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction”[4]. Cela s’adresse donc à la personne auditionnée librement, la personne retenue, la personne gardée à vue, le témoin assisté, le mis en examen, le prévenu et enfin l’accusé.  Ensuite d’un point de vue ratione materiae, toutes les procédures ne sont pas concernées par le droit de se taire. Ainsi le droit de se taire ne fait pas obstacle à des procédures fondées sur la reconnaissance de culpabilité du suspect, dès lors que celle-ci a été faite librement[5]. Enfin se pose la question de l’expansion de ce droit dans le champ répressif et sa place dans la procédure pénale. L’absence de référence à l’article 16 de la DDHC n’est en l’occurrence pas sans importance. Elle pose la question de savoir si c’est un oubli ou une volonté de la part du Conseil Constitutionnel de limiter le champ d’application de ce droit. 

Droit de se taire et refus de communication de déchiffrement d’un moyen de cryptologie aux autorités judiciaires. C’est aussi sur le droit de se taire que le Conseil s’est fondé pour répondre à une autre réflexion similaire relative à la communication de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie aux autorités judiciaires dans sa décision du 30 mars 2018[6]. Le Conseil était saisi de l’article 434-15-2 du code pénal (CP) qui punit de trois ans d’emprisonnement et de 270 000 euros d’amende « le fait pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités… ». La Cour de cassation, dans son arrêt de renvoi, avait estimé que l’article pourrait être appliqué “à la personne mise en cause dans une information judiciaire ou une enquête policière et avait alors jugé sérieuse la question de sa conformité aux droits au silence et de ne pas s’auto-incriminer, issus des droits au procès équitable et à la présomption d’innocence respectivement garantis par les articles 16 et 9 de la DDHC”[7]. Le Conseil Constitutionnel va juger conforme à la Constitution l’article 434-15-2 du CP appliqué à la personne mise en cause. Pour ce faire, le Conseil relève une conciliation opérée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions, et, d’autre part, le respect des droits et libertés, en particulier le droit au respect de la vie privée, était équilibrée. Constatant que l’objectif n’était pas d’obtenir des aveux, ni de poser une reconnaissance de culpabilité ou une présomption de culpabilité et que les données « déjà fixées sur un support, existaient indépendamment de la volonté de la personne suspectée », il a conclu à l’absence de violation du droit de se taire. »  Le Conseil Constitutionnel n’y voit donc aucune atteinte au droit fondamental de ne pas contribuer à sa propre incrimination ni à la loyauté. Il est à noter que la « motivation sommaire » de cette décision a été critiquée[8] et ce d’autant plus que la solution finale ne semble pas prendre toute la mesure du droit de se taire. En effet, le Conseil relève que les dispositions critiquées « n’ont pas pour objet d’obtenir des aveux et n’emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité »[9]. Pourtant, il est difficile de concevoir une obligation positive de faire une déclaration n’affectant pas le droit de se taire[10].

2021, l’année de la reconnaissance constitutionnelle du droit de se taire.

La première décision à ce sujet a été rendue le 4 mars 2021[11]. En l’espèce, Conseil Constitutionnel se penchait sur l’article 396 du CPP. Ce dernier ne prévoyait pas la notification du droit de se taire lors du placement en détention provisoire préalable à la présentation au tribunal dans le cadre d’une comparution immédiate. Ce qu’il y avait d’inédit, c’est que “la QPC renvoyée par la Cour de cassation invitait pour la première fois le Conseil constitutionnel à se prononcer sur les circonstances dans lesquelles, en dehors du cadre particulier de la garde à vue, une personne mise en cause dans une affaire pénale doit être informée de son droit de se taire”[12]. L’occasion de rejoindre la Cour de cassation[13] dans son exigence d’informer la personne mise en cause du droit de se taire devant les juridictions susceptibles de recueillir des informations utilisables par des juridictions subséquentes, chargées de statuer sur son renvoi ou sur sa culpabilité[14] se présentait donc. Le Conseil estime que le juge des libertés et de la détention (JLD), seul magistrat à prononcer le placement en détention provisoire, doit notifier au prévenu son droit de se taire car les JLD sont, à l’occasion de leur vérification juridictionnelle, « conduit[s] à porter une appréciation sur les/des faits retenus à titre de charges »[15]. Par conséquent, la justification de la notification du droit de se taire va trouver sa source dans le fait que ces juges vont recueillir les déclarations du prévenu ou du mis en examen potentiellement exploitables à son encontre par les juridictions de jugement. En ne portant pas connaissance du droit de se taire au prévenu, les dispositions portent atteinte à ce droit et est contraire à l’article 9 de la DDHC. 

A partir de là, toute une série de QPC pouvaient être envisagées puisque le mis en cause est amené à être confronté au JLD à plusieurs stades de la procédure pénale. Ces QPC ont bien évidemment été soulevées. 

Deux décisions sont ensuite rendues le 9 avril 2021[16]. Le Conseil s’est penché, d’une part, sur l’article 199 du CPP à propos du placement en détention provisoire devant la chambre de l’instruction en cas de requête en nullité, appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire ou de saisine pour règlement d’un dossier d’information. Le Conseil Constitutionnel va reprendre le même syllogisme que la décision du 4 mars 2021. En effet, là encore le Conseil Constitutionnel retient que les JLD sont « conduit[s] à porter une appréciation sur les/des faits retenus à titre de charges »[17]. Ils sont amenés à recueillir des déclarations du prévenu ou du mis en examen potentiellement exploitables à son encontre par les juridictions de jugement. Ces dispositions « ne prévo[ient] pas que [l’intéressé] doit être informé du droit de se taire »[18].  Il aura eu à analyser, d’autre part,l’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante lorsque le mineur est entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le cadre du recueil de renseignements socio-éducatif[19]. Le requérant soutenait que les dispositions « méconnaissaient le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ainsi que les droits de la défense, dans la mesure où elles ne prévoient pas qu’un mineur soit informé de son droit à l’assistance d’un avocat et de son droit de se taire »[20]. Or pour le requérant, cela lui faisait grief dès lors que ces déclarations sur des faits qui lui sont reprochés pouvaient être consignées dans le rapport établi par la PJJ[21]. Toujours au visa de l’article 9 de la DDHC et après avoir relevé que la PJJ était entendue « avant toute réquisition ou décision de placement en détention provisoire ou de prolongation de la détention provisoire du mineur ainsi qu’avant toute décision du juge des enfants ou du tribunal pour enfants dans certains cas où ils sont saisis aux fins de jugement »[22], le Conseil Constitutionnel déclare l’article 12 de l’ordonnance contraire à la Constitution. Le Conseil observe, en effet, que l’agent du service de la PJJ pouvait être amené à reconnaître sa culpabilité dans le cadre du recueil de renseignements socio-éducatifs. Or, le rapport a pour finalité « d’éclairer le magistrat ou la juridiction compétent sur l’opportunité d’une réponse éducative, les déclarations du mineur recueillies dans ce cadre sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement lorsqu’elles sont consignées dans le rapport joint à la procédure »[23]. Il est à noter que l’ordonnance du 2 février 1945 ayant été abrogée au profit de l’instauration du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM), c’est l’article L. 322-3 du dit code relatif au recueil de renseignements socio-éducatifs qui a été modifié, celui-ci ayant le même objet. Si la décision est cohérente sur le fond en ce que le rapport va guider le magistrat dans la prise de sanction, le droit de se taire peut avoir un effet néfaste. En effet, le recueil de renseignements socio-éducatif vise aussi à instaurer une relation de confiance entre l’agent de la PJJ et à obtenir des informations sur la vie de ce dernier souvent difficile. En lui notifiant un droit de se taire, il y a un risque de voir le dialogue et la prise en charge du mineur plus difficile qui préféra demeurer dans le silence. 

La quatrième décision est en date du 18 juin 2021[24]. Au visa des deux motifs déjà évoqués dans les QPC du 9 avril, le Conseil constitutionnel conclut également qu’un prévenu ou un accusé qui comparaît devant une juridiction statuant sur une demande de mainlevée du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté doit être informé de son droit de se taire, ce qui n’est pas prévu par l’article 148-2 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004. La décision est encore une fois dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui observe un grief dès lors que le requérant peut être amené sur des éléments pouvant être retenus à charges contre lui[25]. Toutefois il parait difficilement envisageable que le JLD puisse accorder une remise en liberté ou une mainlevée du contrôle judiciaire pour le prévenu qui déciderait de se taire sur des éléments probablement déterminants pour évaluer la dangerosité d’une remise en liberté.

Viennent enfin les deux dernières décisions rendues le 30 septembre 2021. La première concernait l’article 394 du CPP déclaré contraire de la Constitution[26], à propos de la convocation par procès-verbal devant le tribunal correctionnel. En application de ce texte, lorsque le JLD est appelé à statuer sur le placement du prévenu sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence : « ce magistrat peut, après audition du prévenu, son avocat ayant été avisé et entendu en ses observations, s’il le demande, prononcer l’une de ces mesures dans les conditions et suivant les modalités prévues par les articles 138, 139, 142-5 et 142-6 ». Le requérant avançait alors un mutisme sur la notification du droit de silence et donc une méconnaissance des droits de la défense mais aussi une différence de traitement injustifiée entre les prévenus selon qu’ils sont traduits devant le JLD dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate[27] ou d’une procédure de convocation sur procès-verbal. Une fois encore, le Conseil retient que le prévenu peut être amené à reconnaître les faits qui lui sont reprochés face aux questions qui lui sont posées[28]. En outre, le fait que le magistrat invite le prévenu à présenter ses observations peut lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire, ce qui peut ensuite être lourd de conséquences pour l’intéressé, étant précisé que ses observations sont susceptibles d’être portées à la connaissance du tribunal correctionnel[29]. En conséquence, le Conseil Constitutionnel retient que l’article 394 du CPP, en ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le JLD puisse être informé de son droit de se taire, est contraire à la Constitution.

La seconde[30] concernait l’article 145 du CPP, régissant le placement en détention provisoire du mis en examen. Là encore, le requérant reprochait aux dispositions de ne pas prévoir que la personne mise en examen soit informée de son droit de garder le silence lors du débat contradictoire devant le JLD. Les mêmes arguments étaient avancés que pour la QPC précédente. Premièrement, l’office du JLD consiste à apprécier l’existence d’indices graves ou concordants de la participation du mis en examen à la commission de l’infraction qui lui est reprochée. Dans ce cadre, le mis en examen peut être amené à faire des déclarations auto-incriminantes qui pourront ensuite être portées « à la connaissance de la juridiction chargée de se prononcer sur sa culpabilité »[31]. Deuxièmement, le requérant reprochait une différence de traitement entre les personnes mises en examen selon qu’elles comparaissent devant la chambre de l’instruction ou le JLD car seules celles comparant devant la chambre de l’instruction bénéficiaient de la notification du droit de se taire[32]. Sans surprise, le Conseil Constitutionnel déclare l’article 145 du CPP contraire à la Constitution en partageant le raisonnement du requérant et reprenant les mêmes arguments avancés dans la QPC rendue le même jour.  Le Conseil précise néanmoins que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation, le juge des libertés et de la détention doit informer la personne mise en examen, qui comparaît devant lui en application du sixième alinéa de l’article 145 du code de procédure pénale, de son droit de se taire »[33].


[1] Cons. const. 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC 

[2] A. GALLOIS, “L’atteinte au droit constitutionnel de se taire par l’exclusion légale d’une nullité de procédure pénale”, Recueil Dalloz 2017, p. 395

[3] Cons. const. 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC, §8

[4] A. GALLOIS, op cit

[5] Ibid

[6] Cons. const. 30 mars 2018, n°2018-696 QPC 

[7] M. LACAZE, « Constitutionnalité du refus de remise d’une convention secrète de déchiffrement, Conseil Constitutionnel », AJ Pénal, 30 mars 2018, p. 257

[8] Voir en ce sens M. LACAZE op cit et M. QUEMENER, « Le refus de déchiffrement à l’épreuve des droits fondamentaux », Dalloz IP/IT 2018, p.514

[9] Cons. const. 30 mars 2018, n°2018-696 QPC, §8

[10]M. LACAZE, op cit

[11] Cons. const. 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC

[12] Commentaire officiel de la décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, p. 20.

[13]  Voir  Crim. 24 févr. 2021, n° 20-86.537

[14] A. BOTTON, “Variation autour du droit à l’information”, RSC 2021, p. 483

[15] Cons. const. 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC, § 7 

[16] Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-895/901/902/903 QPC

[17] Ibid, § 11.

[18] Ibid, § 13

[19] Cons. Const, 9 avril 2021, n°2021-894 QPC

[20] Ibid, §3

[21] Ibid

[22] Ibid, §6

[23] Ibid, §7

[24] Cons. const. 18 juin 2021 no 2021-920 QPC

[25] Ibid, §8

[26] Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-934 QPC

[27] Art 396 du CPP

[28] Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-934 QPC, §7

[29] Ibid, §8

[30] Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC

[31] Ibid, §3

[32] Ibid, §4

[33] Ibid §14

Le respect du droit de se taire devant la chambre criminelle

Devant les juridictions judiciaires, le contentieux sur le droit de se taire est aussi d’actualité. Avant l’adoption de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire[1]l’article 199 du CPP régissant le déroulement de l’audience devant la chambre de l’instruction ne prévoyait aucune disposition pour la notification du droit au silence. Malgré la lettre de l’article, la chambre criminelle affirme le 14 mai 2019, au visa de l’article 6 de la Convention EDH, que la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre une ordonnance de mise en accusation, doit être informée de son droit de se taire. Puis, elle entérine l’importance de cette notification en précisant que son absence lors de l’audience fait nécessairement grief à la personne mise en examen[2]. Ainsi la chambre de l’instruction doit notifier au mis en cause son droit de se taire lorsqu’elle apprécie les charges qui pèsent contre lui, et cela s’applique aussi bien lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de règlement mais aussi en cas d’audience en matière d’irresponsabilité pénale[3].

A propos des mesures de sûreté, la jurisprudence de la chambre criminelle a également changé. Initialement, la Cour de cassation refusait toute sanction d’absence de notification du droit de se taire considérant que l’appréciation de la nécessité d’un placement en détention provisoire n’invitait pas à analyser la nature des indices pesant sur le mis en cause. Dès lors, la notification du droit de se taire au sens de l’article 6 de la Convention EDH était exclue[4]. Mais, par un arrêt du 27 janvier 2021[5], la chambre criminelle affirme que, dès lors que les indices de culpabilité peuvent être débattus lors de l’audience, la personne pouvant être amenée à faire des déclarations doit se voir notifier son droit de se taire. Bien que cette décision établissait l’assise de l’importance d’une telle notification, la portée de ce revirement n’était pas certaine. Pour preuve, par son arrêt du 24 février 2021[6], la chambre criminelle affirme, toujours dans le contentieux de la détention,  la nécessité de notifier le droit de se taire mais aussi les incidences du non-respect de cette obligation, à savoir  ne pas utiliser les propos tenus en violation du droit et non annuler la décision. La justification avancée était que la notification du droit de se taire était “sans incidence sur la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté”[7]


[1] Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire JORF n°0298 du 23 décembre 2021

[2] Crim. 14 mai 2019, n°19-81.408, AJ pénal 2019. 390, obs. D. Miranda

[3] Crim., 8 juillet 2020, n°19-85.954 -auparavant la chambre criminelle affirmait que le droit de se taire ne trouvait pas à s’appliquer à la procédure d’irresponsabilité pénale et que cela n’est pas contraire aux dispositions conventionnelles, voir Crim., 29 novembre 2017, n°16-85.490 

[4] Crim. 7 août 2019, n°19-83.508

[5] Crim., 27 janvier 2021, n°20-85.990

[6] Crim., 24 février 2021, n°20-86.537 confirmé par Crim., 13 avril 2021 n°21-80.728

[7] [7] Crim., 24 février 2021, n°20-86.537

Conclusion

Généralisation de la notification du droit de se taire à tous les stades de la procédure pénale. A l’aune de cette actualité jurisprudentielle brûlante, le législateur a profité de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire pour remédier aux diverses inconstitutionnalités relevées. En effet, le Conseil Constitutionnel avait, pour chaque décision, reporté les abrogations au 31 décembre 2021 et au 31 mars 2022 pour les décisions QPC du 30 septembre 2021 afin de laisser le temps au législateur de satisfaire les exigences constitutionnelles. Le Conseil retenait qu’une abrogation immédiate entraînerait des conséquences manifestement excessives.  Dès lors, les mesures prises avant le 31 décembre 2021 en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne pourront pas être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. 

Mais, en plus d’avoir réécrit les articles déclarés contraires à la Constitution à travers la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le législateur a également modifié l’article préliminaire du code de procédure pénale. En effet, le législateur a ajouté qu’ « en matière de crime ou de délit, le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés est notifié à toute personne suspectée ou poursuivie avant tout recueil de ses observations et avant tout interrogatoire, y compris pour obtenir des renseignements sur sa personnalité ou pour prononcer une mesure de sûreté, lors de sa première présentation devant un service d’enquête, un magistrat, une juridiction ou toute personne ou tout service mandaté par l’autorité judiciaire. Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que ledit droit ait été notifié ». C’est ainsi que le droit de se taire a été inscrit au rang des principes directeurs de la procédure pénale. 

Portée du droit de se taire dans la procédure pénale. La circulaire du 27 décembre 2021 a précisé les contours et la portée de cette notification. Premièrement, l’exigence de notification du droit de se taire ne s’applique qu’en matière criminelle et délictuelle, la matière contraventionnelle est donc exclue[1]. Deuxièmement, la circulaire précise que la personne doit être informée du droit de se taire uniquement sur les faits qui lui sont reprochés. Il n’est donc pas possible d’opposer le droit de se taire sur des « renseignements d’identité ou sur des éléments de personnalité qui ne sont pas liés aux faits reprochés »[2]. Enfin, la circulaire précise les conséquences de l’absence de notification. L’article préliminaire précisant que « aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que ledit droit ait été notifié », l’omission de la notification du droit de se taire ne peut donc pas constituer une cause de nullité de l’acte accompli[3]. Il n’y aura que « la force probante des déclarations que la personne aura pu faire, et dans lesquelles elle aura pu reconnaître sa culpabilité »[4], qui sera affectée par le défaut de notification du droit au silence. Toutefois, il est à noter que si le droit de se taire a été inscrits dans les articles déclarés inconstitutionnels dans les diverses QPC de 2021, c’est bien parce que l’absence de leur notification sera une cause de nullité soumise à grief présumé. La présomption de grief permettra ainsi soit d’en faciliter la preuve, soit d’en dispenser purement et simplement le demandeur. 

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel a donc sans aucun doute apporté une garantie supplémentaire dans l’exercice des droits de la défense. Il reste à savoir maintenant si l’exercice du droit de se taire par le mis en cause, le prévenu et même le mineur ne sera pas détourné pour y voir une suspicion de culpabilité dans le refus d’apporter des réponses aux questions posées. 


[1] Circulaire du ministère de la justice n° 2021-00022 relative aux dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, p. 4

[2] Ibid

[3] Ibid, p. 5

[4] Ibid, p. 6