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“Le Conseil supérieur de la Magistrature : focus sur l’avis au Président de la République du 24 septembre 2021”, par Eva TEXIER

« La justice est une institution merveilleusement humaine, terriblement humaine. » E. Dupond-Moretti

« On ne peut toucher à la responsabilité des magistrats que d’une main tremblante. » H. Pauliat

Il est nécessaire de revenir sur l’institution qu’est le Conseil supérieur de la magistrature, largement méconnue du grand public mais aussi, très souvent, des étudiants en droit.

Histoire (dates clés)

– Loi du 30 août 1883 : Le terme de « Conseil supérieur de la Magistrature » (CSM) apparaît pour la première fois. Il désigne la Cour de cassation réunie en formation plénière. 

– Constitution du 27 octobre 1946 : Le CSM devient une institution indépendante. Il acquiert des prérogatives importantes relatives à la déontologie des magistrats, à l’administration des tribunaux judiciaires. 

– Constitution du 4 octobre 1958 : Le CSM garde des pouvoirs similaires, mais certains sont supprimés (fin de l’avis conforme pour la nomination de tous les magistrats du siège et des missions administratives).

– Loi const. du 27 juillet 1993 et loi orga. du 5 février 1994 : Rapprochement du modèle actuel : création des deux formations (parquet et siège) et renaissance de l’avis conforme exigé pour les magistrats du siège.

– Loi const. du 25 juillet 2008 et loi du 22 juillet 2010 : Les deux principaux changements sont :

– la disparition du Président de la République comme président du CSM

– l’ouverture de la saisine du CSM aux justiciables pour les procédures disciplinaires. 

Composition actuelle

Au sein du CSM, il existe trois formations : 

– Formation des magistrats du siège : Présidente de la Cour de cass., 5 magistrats du siège, 1 magistrat du parquet, 1 conseiller d’Etat, 1 avocat, 6 personnalités qualifiées (+ 1 magistrat en formation disciplinaire).

– Formation des magistrats du parquet : Procureur gén. de la Cour de cass., les 8 personnalités non-magistrates judiciaires, 5 magistrats du parquet et 1 magistrat du siège (+ 1 magistrat en formation disciplinaire).

– Formation plénière : Les 8 personnalités non-magistrates, 3 magistrats du siège, 3 magistrats du parquet.

Ex. : C. Cabut, Procureur Général ; B. Giraud, Président de Tribunal ; N. Fricero, Professeur.

Missions principales

  • Le pouvoir de nomination : 

– Magistrats du siège : la formation concernée du CSM, est chargée de la nomination des magistrats de la Cour de cassation et des chefs de juridiction. Les autres magistrats sont nommés par le pouvoir exécutif, néanmoins ce choix reste soumis à l’avis conforme du CSM. 

– Magistrats du parquet : Le pouvoir de contrôle du CSM est moins important. Il rend un avis consultatif au Garde des sceaux concernant la nomination des procureurs généraux, mais le choix appartient à ce dernier. 

  • Le pouvoir disciplinaire : 

La procédure disciplinaire peut être engagée (1) par le Garde des sceaux, (2) par des supérieurs hiérarchiques (les premiers présidents de cours d’appel ou le président du tribunal supérieur d’appel, les procureurs généraux des cours d’appel ou le procureur du tribunal supérieur d’appel), (3) ou sur requête des justiciables. 

Conditions relatives à la requête des justiciables : (1) Une décision irrévocable mettant fin à la procédure doit avoir été prononcée / (2) La décision irrévocable doit être datée d’il y a moins d’1 an / (3) Les faits et les griefs doivent être détaillés / (4) Le requérant doit signer et la procédure visée doit être identifiable.

La commission d’admission des requêtes est chargée d’étudier la recevabilité des requêtes. 

En cas de recevabilité, la requête ira devant la formation adaptée du CSM, qui pourra alors mener des investigations, déterminer la responsabilité disciplinaire du magistrat et la sanction adéquate. 

Ex. : déc. du 13 juil. 2021 : diffusion d’images de sa fille mineure par un magistrat sur un site pornographique = révocation

  • Le pouvoir d’information, d’avis : (mission de veille et d’avis)

Concernant plus précisément la question des avis, le CSM les prononce en formation plénière. 

Saisie : (1) Garde des sceaux (avis disciplinaires et de fonctionnement) / (2) Président de la République 

Ex. : avis rendu au Garde des sceaux le 16 mai 2013 : le CSM se déclare incompétent pour traiter du scandale relatif au « mur des cons » du Syndicat de la Magistrature. 

Saisi par le Président de la République, le 17 février 2021, le CSM a été interrogé sur trois points : l’amélioration de la saisine du CSM par les justiciables, l’apport de précisions sur la notion de faute et les sanctions disciplinaires et la protection des magistrats. 

Contexte

La France connaît une montée de la défiance envers la Justice, perçue par les citoyens comme une institution lente et incapable de répondre convenablement aux demandes des justiciables. Il y a donc une volonté politique de rétablir la confiance dans la Justice à travers cette initiative, et par la tenue des états généraux de la Justice (ouverture le 18 octobre 2021).

Les magistrats ne cessent d’exprimer la détresse grandissante du corps. Elle a atteint son apogée avec la publication d’une tribune signée par plus de 7000 magistrats et greffiers.

Proposition

L’avis se décompose en quatre axes principaux :

1. Placer la déontologie au cœur de la justice : 

– Les magistrats ne sont pas assez évalués par leurs supérieurs hiérarchiques  Il faut améliorer l’information des chefs de cour sur les avertissements, afin qu’ils s’en saisissent en cas de nécessité. Il faut également s’assurer que tous les magistrats soient bien évalués (par leurs pairs si besoin).

– Le taux d’irrecevabilité des requêtes pèse sur les justiciables (seulement 3% de recevabilité depuis 2011).

La commission d’admission des requêtes doit avoir la possibilité de faire un rappel de ses obligations aux magistrats, dans le but d’éviter les fins de non-recevoir « sèches » (15% des irrecevabilités : défaut de forme).

2. Favoriser la détection d’un manquement disciplinaire

Les justiciables se trompent souvent d’institutions lors de leurs démarches pour engager la responsabilité d’un magistrat ou celle du service public de la justice.

Il faut améliorer l’information des justiciables, mais aussi l’information entre les différentes institutions concernées, pour permettre aux demandes d’être traitées par les organes compétents (formulaire n°16126*02 pour saisir le CSM, mis en place le 8 oct. 2021).

3. Améliorer le déroulement des poursuites disciplinaires et l’échelle des sanctions 

La liste relative aux fautes est imprécise.

Le CSM soutient l’idée d’intégrer une liste limitative à l’article 43 de l’ordonnance statutaire, relatif aux sanctions disciplinaires. Néanmoins, il est nécessaire de protéger les magistrats. Il n’est donc pas opportun d’assouplir les conditions de responsabilité relatives à la « la violation grave et délibérée d’une règle de procédure ». 

4. Renforcer la protection personnelle et fonctionnelle des magistrats 

Il faut mettre en place une politique de communication afin de répondre à toutes les accusations infondées à l’égard de la justice et permettre aux magistrats la saisine du CSM en cas d’atteinte à leur indépendance.

Analyse

Les propositions faites par le CSM sont cohérentes. Elles répondent à une volonté tangible d’équilibre entre la responsabilisation des magistrats et leur protection, la sauvegarde de leur indépendance étant nécessaire au bon exercice de la justice. 

Toutefois, le Président de la République aurait pour volonté de voir le champ de la faute disciplinaire élargi en admettant la faute pour « violation grave et délibérée sur le fond » (Le Monde, J.-B. Jacquin). 

L’intérêt adressé à la question du suivi médical des magistrats est un questionnement heureux, toutefois, il aurait été intéressant de le creuser davantage.

Le grand absent de cet avis reste la question de la différence de régime disciplinaire entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet, question qui sera néanmoins traitée par les états généraux de la Justice. 

Colloque « Indépendance et responsabilité des magistrats : perspectives », 30 juin 2021