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“Le métavers”, par Alexandre DEMOREUILLE

Le 17 octobre 2021, Facebook a annoncé le recrutement de 10 000 personnes en Europe qui travailleront à la création du « métavers », au cours des 5 prochaines années. Mais, le métavers c’est quoi ?

Qu’est-ce que le métavers ?

Issu de la littérature d’anticipation[1], le « métavers » ou monde virtuel est un cyberespace parallèle à la réalité physique, créé à l’aide d’un logiciel informatique, dans lequel les utilisateurs sont placés en situation immersive d’interagir, par le biais d’avatar ou d’hologramme, dans les conditions les plus proches possible de la réalité. 

Or, le développement d’une « vie 2.0 », en particulier par une entreprise privée abonnée aux scandales sociétaux[2], ne relève certainement pas d’une volonté désintéressée. Pour cause, si le métavers incarne « l’expression ultime des technologies sociales », il sera surtout « le principal moteur de l’industrie technologique au cours de la prochaine décennie »[3]. N’en déplaise à certains, l’argent demeure toujours le nerf de la guerre. 

Cet engouement économique contraste néanmoins avec un encadrement juridiquement quasiment inexistant. Il n’en demeure pas moins que nos interactions sociales au sein de ces univers persistants ne seraient être encadrées sous le seul prisme de quelques conditions d’utilisation. Quid de nos droits et libertés ?


[1] STEPHENSON Neil, Le samourai virtuel – Ailleurs et demain, Robert Laffont, 1991 / Snow crash (version originale).

[2] Début octobre 2021, la lanceuse d’alerte américaine et ancienne employée de Facebook, Frances Haugen, avait accusé l’entreprise de choisir « le profit plutôt que la sécurité » de ses utilisateurs. 

[3] Propos de Mark Zuckerberg in Epsiloon, « Bienvenue dans le Métavers », n°5, novembre 2021, p. 50.

Puisque « sans propriété, il n’y a ni liberté, ni prospérité »[1], l’étude du droit de propriété à l’aune du pionnier des mondes sociaux persistants, Second Life, peut offrir un humble regard sur les lacunes de notre droit positif à appréhender cette réalité de demain. 

[1] MALAURIE Philippe, AYNÈS Laurent, Droit des biens, 7ème édition, LGDJ, p. 432. 

Droit de propriété et métavers

Créé en 2003 par la société Linden Lab, l’univers virtuel de Second Life se caractérise par une perméabilité de son cyberespace à l’aune des frontières de notre monde réel. Outre la conversion de devise réelle en devise virtuelle[1], les utilisateurs sont invités à souscrire à un abonnement mensuel pour leur permettre, notamment, d’être propriétaire d’immeubles virtuels[2]. Pour cause, en leur qualité de développeurs, Linden Lab assure la création et la vente de terrains (virtuels) à travers un service de vente aux enchères. En conséquence, on peut donc s’interroger sur la nature du droit exercé par l’utilisateur au travers de son avatar sur ses terrains : s’agit-il d’un véritable droit de propriété ? 

Notion de propriété – Conformément à l’article 544 du Code civil, la propriété est définie comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements. » Cette définition politique de la propriété emporte la trilogie suivante : 

  • Totalité des utilités de la chose (ususfructusabusus) : Le propriétaire peut disposer du bien comme il l’entend, user de toutes les finalités de la chose.
  • Perpétuité : La propriété ne se perd pas par non-usage et se transmet sans rupture.
  • Exclusivité : Seul le propriétaire peut user de la chose et peut donc en interdire l’utilisation à tout autre personne.

Ces trois caractères se retrouvent-ils dans les mondes virtuels perméables ? À propos du premier caractère, un avatar peut profiter pleinement des utilités de la chose sous condition que le bien ainsi créé soit en mesure de lui apporter[3]. Sur le deuxième caractère, chaque objet virtuel est un programme informatique qui ne disparaît pas en se déconnectant du monde virtuel ou en éteignant l’ordinateur. Enfin, il ne fait aucun doute que le caractère exclusif du bien virtuel existe. En effet, la suite de données constitutive du programme informatique permet de définir les caractéristiques de l’objet ainsi que l’identité de l’avatar (à quel compte utilisateur il appartient). En conséquence, la relation qu’entretient l’avatar relativement à ses biens semble conforme à la propriété civiliste. 

Protection de la propriété – La propriété peut subir des atteintes de la part d’autres utilisateurs. Sur le plan informatique, chaque objet virtuel n’étant qu’une suite de données, un programme informatique peut y être apposé afin de protéger l’objet en interdisant à un autre utilisateur de s’en emparer. Mais en cas de piratage dudit programme informatique, cela équivaut à un vol de l’objet aux plans pénal et civil. Ainsi, une action en revendication devrait être permise. 

Atteinte à la propriété  Dans notre système juridique, conformément aux dispositions respectives des articles 545 du Code civil, 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme, un propriétaire ne peut être dépossédé que pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. Or, il est observable que dans Second Life, les concepteurs disposent d’un véritable droit de vie ou de mort sur l’avatar. Ces derniers peuvent ainsi supprimer ou modifier des biens qui lui appartiennent et cela sans indemnité. Il en résulte une limite indéniable à la propriété civiliste dans les mondes virtuels. Le défaut de garantie contre la puissance publique affecte la propriété d’une précarité totale qui emporte ipso facto disqualification de ce droit souverain. Autrement dit, le modèle de la propriété du Code civil échoue à rendre compte, dans le monde virtuel, de l’organisation de la relation entre l’avatar et ses biens. 

Absence de propriété individuelle : Une propriété féodale[4] – La propriété féodale se transpose parfaitement à la réalité du lien de l’avatar à ses biens au sein de l’univers Second Life. Dans ce modèle, la terre appartient à un seigneur, la société Linden Lab, qui la confère à titre de tenure à ses vassaux, les avatars, sous réserve de la souscription à deux conditions : d’une part, le paiement d’une redevance mensuelle et, d’autre part, un serment de fidélité aux conditions d’utilisation. Ainsi, Linden Labs’approprie un pouvoir de taxation à l’endroit du propriétaire du terrain dont le montant est fonction de la superficie du terrain. Le terrain sera réputé ainsi abandonner en cas de défaut de paiement ou d’effacement du compte utilisateur[5]. Le cas échéant, le terrain sera mis aux enchères par la compagnie Linden Lab. De surcroît, toute violation des règles d’utilisation entraînera la révocation du compte utilisateur et, corrélativement, de la tenure. 


[1] Grâce à LindeXExchange, il est possible d’opérer la conversion de toute devise réelle en « Linden Dollars ». / V. « Second Life, une seconde économie », Le Monde, 21 juillet 2007. 

[2] Cela repose sur le postulat selon lequel les biens immatériels sont susceptibles de propriété / V. ZENATI Frédéric, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ., 1993, p. 305 et s. / V. CARRÉ Dobah, « La nature juridique de la propriété virtuelle », 2018. 

[3] Ainsi, il est possible d’échanger des objets virtuels contre de la monnaie virtuelle convertible en argent. Par exemple, dans l’univers virtuel Eutropia Universe, le 29 décembre 2009, une station spatiale virtuelle s’est vendue 330 000 dollars. 

[4] DROSS William, « Le droit de propriété dans les mondes virtuels », in Le droit dans les mondes virtuels, DELABRE Gérald (dir.), Collection du crids, Larcier, 2013, p. 21 à 32.

[5] V. Exemple litige autour d’une expropriation : Bragg v. Linden Lab, 06-08711.

Pour aller plus loin

  • CARRÉ Dobah, « La nature juridique de la propriété virtuelle », Revue du Barreau canadien, vol 96 n°1, 2018 CanLIIDocs 129, p. 189-240. 
  • Sur le volet pénal : « Réalité – Entre harcèlement sexuel et inconfort, le métavers de Facebook déjà un lieu toxique pour les femmes », Libération, 18 décembre 2021.
  • Etude “Métavers : réflexions prospectives – Propriété intellectuelle, fiscal et pénal”, JCPE n° 11, p 1105 s.