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“L’influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel”, par Zoé BEAUCHARD et Flavien FERRAND

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les avocats des parties civiles au procès des attentats du 13 novembre 2015 débutent leur plaidoirie pour demander réparation. Il peut paraître étonnant qu’une juridiction répressive comme la Cour d’assises connaisse d’une fonction normalement reconnue aux juridictions civiles. Alors que le droit pénal regroupe « l’ensemble des règles ayant pour objet de déterminer les actes antisociaux, de désigner les personnes pouvant en être déclarées responsables et de fixer les peines qui leur sont applicables »[1], le droit civil, via son pan de la responsabilité, doit permettre de « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, (…), dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »[2]. La victime a pourtant acquis une place prépondérante dans le procès pénal aujourd’hui[3]. Le cas du terrorisme en est une illustration. Chaque année, entre cinquante et cent personnes en moyenne demandent une indemnisation au titre du régime des victimes d’actes de terrorisme. Depuis 2012, leur nombre est en constante augmentation[4]. Entre 2012 et 2018, ce ne sont pas moins de vingt-sept attentats qui ont été perpétrés sur le territoire national, et quarante-neuf à l’étranger contre les intérêts de la France, faisant près de deux-cent-quatre-vingt-une victimes[5]

Le terrorisme désigne la méthode fondée sur l’usage de la terreur. Terme issu du latin terror, lequel se traduit par la peur ou la crainte[6], il apparaît dans la langue française en 1794 pour nommer le régime politique pratiqué durant la Révolution[7]. Selon la définition donnée par le Robert et le Larousse, le terrorisme correspond à un « ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système »[8], ou pour « atteindre un but précis »[9]. Un acte terroriste serait donc nécessairement un acte de violence touchant à la sphère du politique ou du pouvoir. Or, selon une définition plus large, le terrorisme peut s’entendre comme une « attitude d’intolérance, d’intimidation dans le domaine culturel, intellectuel et/ou spirituel »[10]. En droit, les actes de terrorisme sont rangés dans le Livre quatre du Code pénal désignant les atteintes contre la Nation, l’État et la paix publique. Sont ainsi qualifiées de terroristes « [toutes les infractions réalisées intentionnellement] lorsqu’elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »[11]. Dans le langage commun, sa définition fait référence à ce que nous nommons l’attentat. Toutefois, l’acte terroriste et ce dernier doivent être distingués, au moins juridiquement. Effectivement, l’attentat est assimilé en fait à un coup d’état dans son acception juridique[12]. Il vise à commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national[13]. Les deux infractions ne se situent donc pas sur le même plan ; l’attentat est une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et les actes terroristes sont une atteinte à la sécurité publique[14]. Néanmoins, ce n’est pas parce que l’atteinte de ces infractions ne concerne pas des personnes qu’il ne peut pas y avoir de victimes lors de leur commission, et notamment en ce qui concerne les actes de terrorisme qui sont le plus souvent des actes de masse. 

Pendant longtemps, les victimes d’actes de terrorisme étaient privées de toute forme de réparation pour les dommages matériels et corporels qu’elles avaient subis. Leur indemnisation restait possible mais les nombreuses conditions à respecter la réduisaient drastiquement[15]. En effet, la victime devait faire face à trois difficultés. La première consistait en la recherche de l’auteur de l’infraction ; pas d’auteur, pas d’indemnisation. La deuxième concernait la responsabilité pénale de l’auteur. Il fallait que l’ensemble des conditions de celle-ci soit respecté pour que la victime soit indemnisée. À l’époque, il n’était pas possible de se tourner vers le juge civil après que la demande en réparation ait été rejetée par le juge pénal en raison de l’union des fautes civile et pénale ; pas de faute pénale, pas de faute civile, pas d’indemnisation. La troisième et dernière difficulté concernait la fortune de l’auteur. Pour que la victime soit indemnisée, encore fallait-il que l’auteur soit solvable, ou ait au minimum le patrimoine nécessaire. L’assurance de ce dernier n’était d’ailleurs d’aucune utilité en ce que la garantie de son assurance de responsabilité était exclue en cas de faute intentionnelle[16]. S’agissant des victimes, leur contrat d’assurance contenait généralement une clause d’exclusion de garantie des actes de terrorisme ; pas de patrimoine, pas d’indemnisation. Il a fallu attendre les attentats réalisés entre le 4 et le 17 septembre 1986 pour que le législateur se décide à mettre en place un régime d’indemnisation des victimes d’acte de terrorisme[17]. C’est par la loi du 9 septembre 1986 relative au terrorisme, et en grande partie par l’acharnement de Madame Rudetski, ancienne présidente de SOS Attentats[18], que le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme (FGVAT) fut créé[19]. La mission du fonds a par la suite été étendue par la loi du 23 janvier 1990 aux infractions de droit commun, devenant le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI)[20]. Cette évolution législative s’est close par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice du 23 mars 2019 qui a quelque peu modifié les règles en matière[21]. Elle retire notamment de la compétence du juge pénal la réparation des préjudices issus d’un acte terroriste. Par suite, la mise en œuvre de l’action civile devant les juridictions répressives ne fait que mettre en mouvement l’action publique ou soutenir cette action mais elle ne permet pas la réparation du dommage en vertu de l’article 706-16-1 du Code de procédure pénale. Cette particularité a pour conséquence d’exclure l’application de l’article 5 du Code de procédure pénale et son adage una via electa. Désormais, les règles applicables aux victimes d’actes de terrorisme sont prévues aux articles L.126-1 à L.126-3 et L.422-1 à L.422-6 du Code des assurances.

Malgré un régime d’indemnisation assuré par un même fonds de garantie, les conditions de sa mise œuvre varient selon qu’il s’agit d’une victime d’acte de terrorisme ou d’une infraction plus classique. Celles-ci concernent avant tout l’acte réprimé évidemment mais également le type de victime ainsi que la nature du dommage causé[22]. Le régime d’indemnisation d’actes de terrorisme est empreint d’une certaine originalité si l’on s’attache aux récents arrêts rendus par la Cour de cassation sur ce sujet. Peut-on alors se demander comment cette particularité influence l’indemnisation du dommage corporel causé à leurs victimes.  

L’influence de cette indemnisation s’apprécie à deux égards. Elle se traduit par la mise en place d’une procédure d’indemnisation spécifique d’une part (I), et d’un renforcement de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme d’autre part (II)


[1] STARCKS (B.), ROLAND (H.), BOYER (L.), Les obligations, t. 1, Le fait juridique, Litec, 5ème éd., 1996, n° 15 ; DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), Droit pénal général, Economica, coll. « Corpus Droit Privé », 16ème éd., 2009, n° 5 ; BOULOC (B.), Droit pénal général, Dalloz, coll. « Précis », 27ème éd., 2021, n°16-17 ; FABRE-MAGNAN (M.), Droit des obligations, t. 2, Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, coll. « Thémis », 5ème éd., 2021, n° 15

[2] Cass. 2ème civ., 28 oct. 1954, Bull. civ. 1954, II, n° 328. Pour un rappel de cette solution : TGI Créteil, 
26 mai 1981, Rouillon c/ Sodivac, Juris-Data n° 1981-000115 ; Cass. 2ème civ., 9 juill. 1981, Duquenne c/ MAAF, n° 80-12.142 ; CA Grenoble, 2èmech. civ., 7 oct. 1997, SA Banque Nationale de Paris c/ G., 
Juris-Data n° 046160 ; CA Rennes, ch. 7, 6 juin 2001, De la Brunetière c/ Bourget, Juris-Data n° 2001-162419 ; CA Toulouse, 3ème ch., 12 mars 2002, SA Sté Grande Paroisse c/ SARL 4X4 Évasion ; Cass. 2ème civ., 
26 oct. 2006, Naze c/ Société Thelem Assurances, n° 05-10.729 ; CA Versailles, 3ème ch., 11 juin 2009, Vilar c/ SA Sogessur, n° 08/03775 ; CA Aix-en-Provence, 1re et 8ème ch. réunies, 16 déc. 2021, n° 20/02464 ; CA Poitiers, 2ème ch. civ., 4 janv. 2022, n° 20/02556

[3] CORIOLAND (S.), « Statut de la victime et prospectives législatives », in STRICKLER (Y.) (dir.), La place de la victime dans le procès pénal, Bruylant, 2009, p. 115

[4] LELEU (T.), « Présentation doctrinale du régime d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme », in CARON (P.), BASSIROU (S.) (dir.), Le droit à l’épreuve des nouvelles formes de terrorisme, Artois Presses Université, coll. « Droit et Sciences économiques », 2017, p.151

[5] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, Dalloz, coll. « Encyclopédie Delmas », 3ème éd., 2020, n° 031.12

[6] ERNOUT (A.), MEILLET (A.), Dictionnaire étymologique de la langue latine, Histoire des mots, Klincksieck, 4ème éd., [1932], 2001, v° terror ; GAFFIOT (F.), FLAUBERT (P.), Gaffiot de pocheDictionnaire Latin Français, Hachette, 2001, v° terror

[7] TLFi, ATILF – CNRS & Université de Lorraine, v° terrorisme

[8] Dictionnaire Larousse, version numérique, v° terrorisme

[9] Dictionnaire le Robert, version numérique, v° terrorisme

[10] TLFi, préc., v° terrorisme

[11] C. pén., art.  421-1, al. 1er

[12] RAYNE (S.), « Rép. pén. v° Intérêts fondamentaux de la nation : atteintes aux – Autres atteintes aux institutions de la République ou à l’intégrité du territoire national », Encyclopédie Dalloz, juin 2013, n° 68

[13] C. pén., art. 412-1, al. 1er

[14] RASSAT (M.-L.), Droit pénal spécial : Infractions du Code pénal, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 8ème éd., 2018, p. 981 et s. ; MALABAT (V.), Droit pénal spécial, Dalloz, coll. « HyperCours », 9ème éd., 2020, 
p. 595 et s.

[15] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.11

[16] C. ass., anc. art. L. 113-1, al. 2. La règle est toujours d’actualité. 

[17] LAMBERT-FAIVRE (Y.), PORCHY-SIMON (S.), Droit du dommage corporel : Systèmes d’indemnisation, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 8èmeéd., 2015, n° 1042

[18] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.11

[19] Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, art. 9, JORF n° 0210 du 10 septembre 1986. Pour les conditions d’application : Décret n°88-260 du 18 mars 1988 relatif à la codification de textes législatifs concernant les assurances, JORF du 20 mars 1988, et plus spécifiquement les anciens articles 
L. 126-1 et L. 422-1 du Code des assurances. 

[20] Loi n° 90-86 du 23 janvier 1990 portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, JORF n°21 du 25 janvier 1990

[21] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019, Texte n° 2

[22] Pour de plus amples développements sur ce point : MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.21 et s. 

I. La mise en place d’une procédure d’indemnisation spécifique

En raison de la gravité des actes en question et de la difficulté pour leurs victimes d’obtenir l’indemnisation du dommage corporel qui leur a été causé par ceux-ci, il a été décidé de créer un organe d’indemnisation particulier (A) avec des conditions d’indemnisations souples (B)

  • A. La création d’un organe d’indemnisation particulier 

Création du fonds. Voulant améliorer la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme et se décharger du poids de cette dette[1], tout en se mettant en conformité avec les recommandations du Conseil de l’Europe, le législateur a créé le FGTI[2]. Néanmoins, ledit fonds ne supporte pas la totalité de l’indemnisation des actes de terrorisme. Il existe une répartition des rôles entre la solidarité nationale et la couverture assurantielle[3]. En d’autres termes, et ce depuis 1986[4], les assurances doivent indemniser la victime des dommages matériels[5], et le fonds d’indemnisation les dommages corporels causés l’acte terroriste commis postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi[6]. En réalité, le fonds est tenu d’indemniser les victimes en question pour les évènements survenus après le 31 décembre 1984[7], voire l’ensemble des actes terroristes, peu importe leur date de réalisation selon la Cour de cassation[8].         
La répartition des compétences peut toutefois sembler sibylline lorsque l’on sait qu’un dommage corporel peut avoir des répercussions sur le patrimoine de la victime. La réponse tient en réalité à la distinction du dommage, considéré comme l’atteinte factuelle matériellement constatable, et le préjudice en tant que répercussion juridique de celui-ci. Un exemple permettra de comprendre notre propos. Prenons le cas de Monsieur A, peintre en bâtiment. Son domicile ainsi que la zone pavillonnaire dans laquelle il réside sont incendiés. Monsieur A en ressort gravement brûlé. Il a dû abandonner sa profession et toute activité professionnelle lui est désormais impossible. Pour faciliter notre démonstration, nous considérons qu’il s’agit d’un acte terroriste. Ici, l’assurance de Monsieur A l’indemnisera des dommages causés à son domicile car il s’agit d’une atteinte à un bien. Quant au FGTI, il l’indemnisera de ses préjudices nés de son dommage corporel. Ces derniers seront de deux ordres. D’un côté, les préjudices patrimoniaux désigneront pour partie les dépenses de santé, les pertes de gains professionnels, ainsi que l’incidence professionnelle de Monsieur A. De l’autre, il pourra être indemnisé de ses préjudices personnels ou extrapatrimoniaux tels que ses déficits fonctionnels temporaire et permanent, ses souffrances endurées etc. Cette distinction permet de connaître précisément l’assiette du recours subrogatoire de chacun des deux contre le terroriste. 

Nature du fonds. Le fonds de garantie est un organisme de droit public selon le Conseil d’État[9]. Cette consécration n’entraîne pas pour autant sa soumission aux règles de comptabilité publique puisqu’il bénéficie de nombreuses dérogations[10]. Il peut donc toujours fournir des provisions rapides. Ce modèle original fait de lui un acteur institutionnel légitime et efficace[11]

Fonctionnement du fonds. Le budget du fonds est alimenté principalement par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens[12], dont le montant varie entre 0 et 6,50€[13]. En 2020, ces contributions ont permis au fond de recueillir près de cinq-cent-soixante-dix-millions d’euros[14]. Il bénéficie en plus du produit des sanctions financières ou patrimoniales prononcées à l’encontre des personnes reconnues coupables[15]. Le FGTI a une compétence élargie en matière d’acte de terrorisme car il connaît de l’ensemble de la procédure d’indemnisation. Il lui revient le rôle de devoir déterminer les préjudices réparables, de déterminer leur montant et procéder à leur règlement. En revanche, lorsqu’il s’agit d’indemniser les victimes d’infractions, la décision revient à la commission d’indemnisation (Civi) installée dans le ressort des tribunaux judiciaires[16].

Qualités du fonds. D’abord, le FGTI fait preuve d’une grande célérité pour allouer des provisions aux victimes d’actes de terrorisme. Ce dernier, doit allouer une provision dans un délai d’un mois à compter de la demande[17]. Ensuite, les fonds attribués à ces victimes d’actes sont conséquents. Ainsi, depuis sa création en 1986, le fonds a pris en charge neuf-mille-six-cent-quatre-vingt-seize victimes directes d’actes de terrorisme pour une charge estimée à près de six-cent-cinquante-millions d’euros. Entre 1986 et 2014, le montant des réparations versées ou provisionnées par le FGTI s’est élevé à un peu plus de cent-douze-millions d’euros, soit quatre-millions d’euros par an[18]. De 2015 à septembre 2021, c’est six-mille-trois-cent-soixante-dix-sept victimes qui ont été prises en charge pour deux-cent-soixante-et-onze-millions d’euros d’indemnités versées[19]. Enfin, le principe est celui d’une réparation intégrale des dommages corporels résultant des actes de terrorisme[20].

Actualité sur le fonds. Actuellement, le modèle économique sur lequel repose le fonds est inquiétant[21]. C’est le constat qui ressort de son bilan budgétaire comparé aux années précédentes. En 2020, le FGTI comptait un déficit de près de trois-cent-quinze-millions d’euros[22]. Certes les nombreux attentats perpétrés depuis 2015 ont aggravé cette tendance, augmentant le montant des indemnisations des actes de terrorisme à deux-cent-quatre-vingt-deux-millions en 2015 et presque deux-cent-trente-quatre-millions en 2016, mais la part d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme est négligeable par rapport à celles des victimes d’infractions[23]. La proportion des indemnisations liées terrorisme était en effet de 7 % en 2015, 15 % en 2016 et 12 % en 2017[24]. Par rapport à la charge de six-cent-cinquante-millions d’euros en ce qui concerne le terrorisme depuis 1986[25], les infractions ont représenté une charge de presque onze-milliards d’euros jusqu’en 2017[26]. D’ailleurs, l’État a conclu avec le FGTI une convention le 16 mars 2017 dans lequel il s’engage à « lui apporter une ressource complémentaire lorsque le niveau de décaissement annuel programmé au titre de l’indemnisation des victimes des actes de terrorisme survenus à compter du 1er juillet 2017 excède 160 M€ »[27]. C’est donc moins le terrorisme que l’indemnisation des victimes d’infractions qui engendre davantage de charges que de recettes, cette dernière remettant en cause la viabilité et la pérennité du fonds alors qu’est démontrée son efficacité. 

En dépit de ces difficultés, le FGTI est un acteur central dans l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme. L’existence d’une seule entité regroupant les demandes d’indemnisation permet de simplifier et faciliter les demandes d’indemnisation. Ce constat positif est renforcé par la simplification des conditions d’indemnisation. 

  • B. La simplification des conditions d’indemnisation 

Procédure unique d’indemnisation. Afin d’obtenir une indemnisation, Les victimes d’accidents ou leurs ayants droit doivent adresser au fonds de garantie leurs demandes d’indemnité par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception[28]. Elles disposent d’un délai de dix ans à compter de la consolidation médico-légale pour saisir le FGTI[29]. À l’appui de leurs demandes, les demandeurs doivent apporter la preuve, par tous moyens, que les dommages corporels qu’ils subissent résultent d’un acte de terrorisme et qu’ils possèdent la qualité de bénéficiaire[30]. Ensuite, dans un délai d’un mois à compter de la demande, le FGTI est tenu de verser une provision à la victime ou à ses ayants droit[31]. Puis, dans un délai de trois mois à compter du jour de la réception de la justification des préjudices, le fonds doit présenter à la victime une offre d’indemnisation[32]. Or, les offres tardives ou insuffisantes peuvent ouvrir droit à des dommages-intérêts au profit de la victime[33]. Avant de se prononcer, le fonds peut solliciter un examen médical de la victime[34]. En pareil cas, la victime doit être informée quinze jours au moins avant la date de l’examen de l’identité et des titres du médecin chargé d’y procéder, de l’objet, de la date et du lieu où il se déroulera[35]. La victime peut se faire assister du médecin de son choix[36]. Ses honoraires seront pris intégralement en charge par le FGTI[37]. Enfin, le fonds de garantie est subrogé dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage[38]

Simplification de la preuve. Les victimes d’acte de terrorisme, pour être indemnisées, doivent rapporter la preuve d’un fait générateur entrant dans le champ d’application du régime de la responsabilité sans faute. La victime doit donc prouver que son dommage résulte d’un acte de terrorisme tel que défini par l’article 421-1 du Code pénal[39]. Néanmoins, celles-ci sont dispensées de rapporter une telle preuve lorsqu’elles se trouvent sur la liste des victimes. Depuis une instruction ministérielle du 6 octobre 2008[40], il revient au Parquet anti-terroriste de recenser les victimes d’actes terroristes sur une liste unique partagée (LUV) pour faciliter la coopération entre les différents organes en cas d’acte terroriste[41]. Plusieurs types de victimes étaient recensés, allant de la victime blessée et restée sur place, à celle impliquée et restée sur place, jusqu’à celle qui a quitté les lieux[42]. Néanmoins, deux problèmes ont émergé. Le premier concerne la définition de la victime impliquée. Elle est redéfinie par une circulaire du 13 avril 2016[43], puis disparaît totalement avec les circulaires du 10 novembre 2017[44] et du 11 mars 2019[45], ce qui ne facilite pas leur identification. Le deuxième concerne l’appréciation de la notion de victime. Pour l’attentat du 13 novembre 2015, le parquet inscrit sur la LUV les victimes directes de la prise d’otages ou des tentatives d’assassinat, « à l’exclusion de toute autre personne qui ne se trouvait pas dans l’enceinte du Bataclan, aux terrasses ou à l’intérieur des établissements visés par les fusillades et ce quand bien même elle était susceptible de présenter ultérieurement des troubles psychiques »[46]. Il faut donc que la victime soit exposée à un risque de mort, comme nous pouvons le comprendre avec la LUV établie pour l’attentat de Nice en 2016 qui ne vise « les personnes situées sur la trajectoire du camion ou dans une grande proximité́, sans la protection du muret de la plage »[47]. Toutefois, le conseil d’administration du FGTI a entendu plus souplement cette notion de victime en admettant une zone de danger beaucoup plus large, et surtout qui ne nécessitait pas d’être exposée à un risque de mort mais à un mouvement de panique[48]. L’écart entre la LUV et la liste des personnes indemnisables par le FGTI s’est ainsi fortement accru. Pour l’attentat de Nice, au 31 mars 2018, la liste établie par le parquet comportait trois-cent-soixante-treize noms (dont trois doublons) quand le FGTI avait enregistré́ trois-mille-deux-cent-quatre-vingt-onze demandes, dont deux-mille-quatre-vingt-six avaient donné lieu à au moins une première prise en charge indemnitaire[49]. C’est ce pour quoi la circulaire du 10 novembre 2017 remplace la LUV par une liste partagée[50]. Cette dernière est complétée par l’ensemble des acteurs qui font remonter au ministère de la Justice les victimes dont ils ont connaissance. Le FGTI lui transmet les victimes qu’il prend en charge, et le Parquet établit seulement une liste des personnes décédées et blessées inconscientes, ainsi que les victimes directes ayant reçu une première provision du fonds[51]. Que ce soit la LUV ou la liste partagée, elles établissent une présomption de situation de victime, laquelle peut être contestée par le fonds[52]

Compétence exclusive. Le contentieux lié à l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme a été centralisé. Dans un premier temps, il a été décidé de faire le Tribunal judiciaire de Paris le seul compétent depuis la loi du 23 mars 2019 pour connaître de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et des litiges liés à l’exercice de ce droit[53]. L’entrée en vigueur de cette disposition a cependant été repoussée au 3 juin 2019[54]. À compter de cette date, les juridictions pénales ne sont plus compétentes pour connaître de ce type de contentieux. Dans un second temps, un juge spécialisé dans l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT) a été créé par cette même loi. Il est compétent pour tous les contentieux en lien avec l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme comme lorsque la victime n’est pas satisfaite de l’offre d’indemnisation proposée par le FGTI ou que ce dernier refuse d’accorder une indemnisation[55]. Ces nouvelles dispositions signifient désormais que l’action civile en réparation du dommage causé par une infraction terroriste est exercée uniquement devant le JIVAT du Tribunal judiciaire de Paris[56]. Dans le cas où la victime porterait son action civile en indemnisation devant le juge pénal, la juridiction saisie doit la renvoyer devant le tribunal judiciaire de Paris qui examine en urgence la demande[57]. La décision n’est pas susceptible de recours, car il s’agit d’une décision d’administration judiciaire[58]. Cette nouveauté a pour conséquence de placer le Tribunal judiciaire de Paris dans une situation équivalente à celle du juge pénal et de faire perdre à ce dernier certaines de ses compétences civiles. La juridiction peut à ce titre, procéder à des auditions ou investigations, se faire communiquer une copie des procès-verbaux ou de toute autre pièce de la procédure pénale et requérir tous renseignements nécessaires pour se prononcer sur la demande d’indemnité[59]. Néanmoins, cette spécificité permet d’assurer une unité et coordonner les réponses en matière d’indemnisation. La procédure d’indemnisation devant le fonds de garantie ou devant le juge civil est donc indépendante de la procédure pénale. Dès lors, il n’y a ni autorité de chose jugée du pénal sur le civil, ni obligation pour le second de sursoir à statuer[60]. Les trois points développés permettent d’affirmer que les préjudices engendrés par les actes de terrorisme bénéficient de conditions d’indemnisation simplifiées par rapport aux autres infractions. La souplesse de ce régime d’indemnisation a par ailleurs été récemment étendue par plusieurs arrêts de la Cour de cassation en faveur d’une meilleure indemnisation des victimes.


[1] LELEU (T.), « Présentation doctrinale du régime d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme », préc., p.153

[2] Loi n° 90-86 du 23 janvier 1990 préc.

[3] LAMBERT-FAIVRE (Y.), PORCHY-SIMON (S.), Droit du dommage corporel : Systèmes d’indemnisation, préc, n° 1049-1051

[4] Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 préc.

[5] C. ass., art. L. 126-2

[6] C. ass., art L. 126-1 ; art. L. 422-1

[7] Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 préc., art. 20

[8] Cass. 2ème civ., 23 juin 1993, n° 91-20.537

[9] CE, 7ème et 2ème ch. réunies, 22 mai 2019, avis n° 427786, Gaz. Pal. 25 juin 2019, n° 23, p. 22, note LELEU (T.)

[10] Spécialement sur sa la gestion budgétaire et comptable : Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, JORF n° 0262 du 10 novembre 2012, Texte n° 6, modifié par le Décret n° 2017-643 du 27 avril 2017 relatif au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, JORF n° 0100 du 28 avril 2017, Texte n° 31

[11] MILQUET (J.), Renforcement des droits des victimes : De l’indemnisation à la réparation, Rapport (en anglais), 23 mars 2019

[12] C. ass., art L. 422-1

[13] C. ass., art L. 422-1, al. 4

[14] FGTI, Guide de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, p. 36

[15] C. pén., art. 422-7

[16] C. pr. pén., art. 706-4

[17] C. ass., art. L. 422-2, al. 1er

[18] Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, Rapport, 30 janvier 2019, p. 55

[19] FGTI, Guide de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, p. 36

[20] C. ass., art. L 422-1, al. 1er 

[21] Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 59

[22] FGTI, Guide de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, p. 36

[23] Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 55

[24] Ibid., p. 56

[25] Ibid., p. 55

[26] Ibid., p. 56

[27] Cité par Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 57

[28] C. ass., art. R. 421-13, al. 1er

[29] C. ass., art. L. 422-3, al. 2

[30] C. ass., art. L. 126-1, al. 1er

[31] C. ass., art. L. 422-2, al. 1er

[32] C. ass., art. L. 422-2, al. 3

[33] C. ass., art. L. 422-2, al. 4

[34] C. ass., art. R. 422-7, al. 1er

[35] Ibid.

[36] Ibid.

[37] FGTI, L’expertise médicale : un moment clef du processus d’indemnisation assorti de garanties fortes pour les victimes, communiqué de presse, 22 septembre 2016

[38] C. ass., art. L. 422-1, al. 6

[39] Cass. 2ème civ., 20 mai 2020, n° 19-12.780, note BIGOT (R.), D. actu. 8 juin 2020 ; note BLOCH (L.), RCA 2020, n° 7-8, comm. 135 ; note LANDEL (J.), RGDA 2020, n° 7, p. 42 ; obs. PORCHY-SIMON (S.), D. 2020, n° 38, p. 2142 ; TAPINOS (D.), Gaz. Pal. 21 juill. 2020, n° 27, p. 15 ; note WALTZ-TERACOL (B.), Gaz. Pal. 2 mars 2021, n° 9, p. 73

[40] Instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme n° 860/SGDN/PSE/PPS du 6 octobre 2008

[41] C. ass., art. R. 422-6

[42] Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 30

[43] Circulaire n° 5853/SG du 13 avril 2016 relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme

[44] Circulaire n° 5979/SG du 10 novembre 2017 relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme

[45] Circulaire n° 6070/SG du 11 mars 2019 relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme

[46] BUSSIERE (Ch.), Mission sur l’amélioration du dispositif d’indemnisation des victimes de préjudice corporel en matière de terrorisme, Rapport n° 1, mars 2018, n° 007-18, p. 19

[47] Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 31

[48] Ibid.  

[49] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.16

[50] Circulaire n° 5979/SG du 10 novembre 2017 préc.

[51] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.16

[52] Cass. 2ème civ., 8 févr. 2018, n° 17-10.456, note CERVEAU (B.), Gaz. Pal. 19 juin 2018, n° 22, p. 82 ; 
note KNETSCH (J), RCA 2018, n° 6, étude 7 ; note PELISSIER (A.), RGDA 2018, n° 5, p. 265 ; 
obs. PORCHY-SIMON (S.), D. 2018, n° 39, p. 2153 ; note ROBERTIERE (P.), Gaz. Pal. 29 mai 2018, n° 19, p. 46

[53] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 préc., art. 64

[54] Décret n° 2019-547 du 31 mai 2019 portant application du troisième alinéa de l’article 706-16-1 du code de procédure pénale, JORF n° 0127 du 2 juin 2019, Texte n° 1

[55] COJ, art. L. 217-6

[56] C. pr. pén., art. 706-16-1 

[57] C. pr. pén., art. 706-16-1, al. 3

[58] Ibid

[59] C. pr. pén., art. 706-16-2 

[60] C. ass., art. L. 422-3, al. 1er

II. Le renforcement de l’indemnisation des victimes

Les récentes solutions jurisprudentielles confirment cette tendance au renforcement de l’indemnisation des victimes d’acte de terrorisme en élargissant le cercle des victimes pouvant prétendre à une indemnisation par le FGTI (A). La tendance est donc d’une extension du régime d’indemnisation spécifique couplée à un accroissement des préjudices réparables au profit des victimes en raison de la spécificité de l’acte de terrorisme (B).

  • A. L’élargissement du cercle des victimes d’actes de terrorisme 

Présentation. La victime peut se définir comme la « personne qui souffre d’une atteinte, quelle qu’en soit l’origine, portée à ses droits, ses intérêts, son intégrité ou son bien- être »[1]. Elle est la personne à qui a été causé le dommage et qui en subit les préjudices comme conséquences. En matière de dommage corporel, il s’agira d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique. Cette victime peut être de deux natures. Elle est directe lorsqu’elle est le point d’impact du dommage, la destination de ce dernier. Elle est indirecte, par ricochet ou réfléchie[2], lorsqu’elle subit « un préjudice matériel ou moral du fait des dommages causés à la victime directe »[3]. Dans ce cas, il s’agit de la famille et des proches de la victime directe. Cette qualité permet de devenir créancier d’un droit à indemnisation contre le débiteur responsable du dommage[4]. Cela implique évidemment que les critères du préjudice réparable soient respectés. La constitution de partie civile répond à des conditions légales précises. D’une part, lorsque cette dernière se fait devant la juridiction pénale, la loi prévoit que seule une personne ayant « personnellement souffert du dommage causé par l’infraction » peut se constituer partie civile[5]. D’autre part, lorsqu’elle se fait au stade de l’instruction[6], il suffit que les circonstances fassent apparaitre comme possibles l’existence d’un préjudice et sa relation directe avec l’infraction[7]. L’enjeu n’est cependant pas le même car au stade de l’instruction, la recevabilité de l’action conditionne la possibilité pour la personne de participer à la mise en état de l’affaire alors que devant le juge du fond, l’action vise à la reconnaissance du statut de victime et l’octroi de dommages-intérêts. Les attentats, compris au sens d’actes terroristes, ayant pour finalité de répandre la terreur et de causer le plus grand nombre de victimes possibles, il est complexe d’identifier les situations qui ouvrent le droit de se constituer partie civile à raison d’un préjudice causé directement par l’acte en question. L’influence du terrorisme sur l’élargissement du cercle des victimes se mesure par rapport aux personnes indemnisables par le fonds qui ne cesse de s’accroître. 

Extension aux ayants droit. L’indemnisation par le FGTI est ouverte à toutes les victimes d’un acte terroriste commis sur le territoire national, et pour les seuls nationaux si ledit acte est commis à l’étranger[8]. Auparavant limitée aux seuls ayants droit ayant la nationalité française, la loi du 23 janvier 2006 a permis l’indemnisation de tous les ayants droits de la victime française quelle que soit leur nationalité[9]. Quant aux victimes indirectes, elles peuvent être indemnisées de leur « atteinte »[10]. Malgré l’ambiguïté de l’expression, elle doit être appréciée souplement. Il faut donc plutôt y voir un synonyme de préjudice, d’autant plus lorsqu’il est précisé que le fonds doit présenter à « toute victime une offre d’indemnisation »[11]. Ainsi, les victimes indirectes connaissent des postes de préjudices de la nomenclature Dintilhac en ce qu’elles subissent elles-aussi un dommage corporel. Afin d’éviter toute interrogation, une modification des termes de l’article L. 422-2 du Code des assurances serait souhaitable. 

Extension aux agents. Ce processus d’extension peut se mesurer à l’égard des agents publics et des militaires. En effet, ces derniers ne pouvaient prétendre à une indemnisation par le FGTI uniquement s’ils avaient été blessés en raison de leur fonction, et non pas lorsqu’ils agissaient dans l’exercice normal de celle-ci[12]. Dans ce dernier cas, seul le mécanisme de protection fonctionnelle du ministère de l’Intérieur leur était ouvert[13]. Or, même lorsqu’ils étaient indemnisés par le fonds d’indemnisation, les agents se voyaient refuser le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes terroristes (PESVT)[14]. La jurisprudence était également divergente sur la question. Lorsque l’acte terroriste était commis en raison des fonctions de l’agent, ce dernier a pu se voir refuser le recours au FGTI[15], comme il a pu être décidé qu’il avait le choix entre l’indemnisation par le fonds d’indemnisation ou le mécanisme de la protection fonctionnelle[16]. La clarification a été apportée par l’article L. 126-1 du Code des assurances modifié par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice qui ouvre la possibilité aux agents d’être indemnisés par le fonds d’indemnisation[17]

Témoins « courageux ». Récemment, par deux décisions, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a adopté une conception plus large de la notion de partie civile. En l’espèce, les deux décisions concernaient des attentats produits sur le sol français et les possibilités d’indemnisation des victimes de ces derniers. La première décision est relative à l’attentat perpétré à Nice le 14 juillet 2016[18]. Pour rappel, un camion avait fait irruption sur la promenade des Anglais tuant et blessant de nombreuses personnes avant de s’immobiliser pour des raisons mécaniques. La seconde décision concerne un attentat ayant eu lieu à Marseille en 2017 au cours duquel un homme avait poignardé mortellement deux femmes et avait attaqué une patrouille militaire[19]. Dans les deux affaires, la chambre de l’instruction n’avait pas reconnu la qualité de partie civile à certaines personnes pourtant présentes sur les lieux estimant certes que le préjudice qu’elles avaient subi était certes indéniable mais qu’elles n’avaient pas été exposées directement et immédiatement au risque de mort ou de blessures recherché par les terroristes. N’étant pas des victimes directes, elles ne pouvaient donc pas se constituer partie civile devant le juge pénal. En effet, dans la première affaire, elle n’avait pas reconnu la qualité de partie civile à la personne qui a poursuivi le camion afin de neutraliser le conducteur ainsi qu’à celle qui se trouvait sur la promenade des Anglais s’étant blessée en sautant sur la plage après avoir entendu des coups de feu. Dans la seconde affaire, elle n’a pas reconnu la qualité de partie civile à la personne qui a tenté de maîtriser le terroriste. Ces solutions sont logiques au regard des conditions restrictives de la constitution de partie civile ; le préjudice subi doit être personnel et direct. Pourtant, la Cour de cassation a décidé dans les deux cas que les constitutions de partie civile étaient recevables. Selon ses mots, c’est qu’elle a adopté une conception plus large de la notion de partie civile[20]. Ainsi, ont pu se constituer partie civile devant le juge d’instruction les personnes en question notamment en raison du traumatisme psychique qu’elles avaient subi. Pour la Cour de cassation, l’action défensive est indissociable de l’action criminelle et la réaction non-fautive de la victime est légitime. La question est désormais de savoir si cette solution sera transposée à la constitution de partie civile devant le juge du fond, ce qui est l’objet de débats[21]

En parallèle de cet élargissement des victimes, l’on peut remarquer un accroissement des préjudices réparables.  

  • B. L’accroissement des préjudices réparables 

Rappel. Les victimes d’actes de terrorisme peuvent souffrir de préjudices importants tels que des syndromes post-traumatiques mais s’avèrent difficilement constatables. Il est donc courant que cet aspect soit oblitéré dans les faits. Pourtant, la réparation de ces préjudices doit répondre au principe de réparation intégrale[22]. À cette fin, un groupe de travail dirigé par Monsieur Dintilhac a créé une nomenclature des préjudices[23]. Elle les définit et vise à en articuler les différents postes. Toutefois, en raison de la spécificité du dommage résultant de l’acte de terrorisme, de nouveaux préjudices furent créés en parallèle de cet outil. 

Préjudice exceptionnel spécifique. Dès 1987, le FGTI prend conscience de la particularité des préjudices issus d’un acte de terrorisme et crée en conséquence le préjudice spécifique des victimes de terrorisme (PSVT). Il consistait en une majoration de 40% de l’indemnisation accordée au titre de ce que l’on appelait l’atteinte à l’intégrité physique et psychique (AIPP), devenu déficit fonctionnel permanent (DFP). Il était uniquement réservé aux victimes directes vivantes qui acceptaient un accord transactionnel avec le fonds[24]. Le PSVT évolue en 2014 pour devenir le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’attentats (PESVT). Par rapport au PSVT, il est un préjudice autonome se distinguant du DFP[25]. En plus des préjudices de la nomenclature Dintilhac, la victime directe recevra une indemnisation à ce titre d’un montant minimum de dix-mille euros, idem pour les victimes indirectes mais seulement en cas de décès de la première et le montant varie selon les liens de parenté[26]

Préjudices d’angoisse. Sous l’impulsion des avocats en charge des victimes des attentats du 13 novembre 2015[27], Madame Méadel, alors secrétaire d’État aux victimes, a confié à un groupe de travail dirigé par Madame Porchy-Simon la mission d’apprécier les préjudices d’angoisse des victimes directes et ceux d’attentes des victimes indirectes[28]. Il a été proposé de créer le préjudice situationnel d’angoisse des victimes directes[29], ainsi que le préjudice situationnel d’angoisse des proches[30]. Cependant, elle ne trouva pas un écho favorable chez le FGTI. Pour le premier, elle l’a traduit par un préjudice d’angoisse de mort imminente englobé dans les souffrances endurées et dont l’indemnisation est comprise entre deux-mille et cinq-mille euros[31]. Si la victime est décédée, alors le préjudice est présumé et son indemnisation est comprise entre cinq-mille et trente-mille euros[32]. Pour le second, Sous réserve d’une cohabitation ou d’une communauté́ de vie, un préjudice d’attente et d’inquiétude peut être retenu au titre des souffrances endurées par les proches précédemment à l’annonce du décès de la victime[33]. Il est évalué soit de manière spécifique dans le cadre des souffrances endurées déterminées par expertise médicale, soit par une majoration du préjudice d’affection[34]
Du côté des juridictions, les positions étaient partagées. La chambre criminelle de la Cour de cassation admettait l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente[35], à condition de la victime en ait eu conscience[36]. Pour la première chambre civile, le choix de l’autonomie appartenait aux juges du fond[37], alors que la deuxième chambre civile comprenait ce préjudice dans les souffrances endurées[38]. Il peut paraître étonnant que le débat porte sur ces préjudices en question. Effectivement, pour ce genre de situation, la nomenclature Dintilhac prévoit le poste des préjudices permanents exceptionnels qui comprend les préjudices spécifiques découlant des attentats au sens commun du terme[39]. Tout du moins, celui-ci ne fut utilisé qu’une seule fois, de manière, résiduelle s’agissant d’une pathologie évolutive liée à un accident médical[40]. La divergence ne fut résolument que très récemment. Par deux arrêts en date du 25 mars 2022, une chambre mixte a reconnu le préjudice d’angoisse de mort imminente en tant qu’angoisse subie par la victime directe entre le moment où elle a subi une atteinte et son décès[41], ainsi que le préjudice d’attente et d’inquiétude subi par les proches de la victime comme la souffrance qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de celle-ci exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude[42]. Ces deux préjudices sont autonomes. Le premier est distinct du poste des souffrances endurées et le second du préjudice d’affection. L’accueil de ces décisions fut mitigé en doctrine, entre ceux l’accueillant favorablement ou défavorablement, et ceux qui ont relevé les nombreuses interrogations qu’elles créent[43]. Si le préjudice d’angoisse de mort imminente n’est pas spécialement lié à un acte terroriste, la question reste entière s’agissant du préjudice d’attente et d’inquiétude subi par les proches de la victime qui pourrait en être une spécificité. 

Pour conclure, la spécificité des actes de terrorisme et des préjudices qu’ils engendrent ont rendu nécessaire une adaptation des règles d’indemnisation des victimes de terrorisme. Par conséquent, le constat est celui d’une influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel. Néanmoins, il serait nécessaire de continuer d’améliorer certains points afin de s’assurer que le principe de réparation intégrale soit effectif et durable. Ainsi, concernant les dommages matériels, il est possible d’envisager une consolidation du partenariat public-privé. Certaines associations des professionnels de la réassurance préconisent la création d’une couverture universelle du terrorisme avec une harmonisation du cadre technique pour homogénéiser et assurer avec les meilleures conditions de couverture les victimes de terrorisme. En ce qui concerne les dommages corporels, il conviendrait de créer une nouvelle assurance directe et obligatoire qui se substituerait au fonds et dont les assureurs deviendraient les débiteurs finals de la dette de réparation[44].


[1] GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.), Lexique des termes juridiques 2021-2022, Dalloz, coll. « Lexiques », 29ème éd., 2021, v° victime

[2] Sur cette dernière expression DUPICHOT (J.), Des préjudices nés de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle, préf. J. FLOUR, LGDJ, coll. « Thèses », t. 96, 1969, n° 3-7 ; LE TOURNEAU (Ph.) (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats – Régimes d’indemnisation 2021-2022, coll. « Dalloz action », 12ème éd., 2020, n° 2123.161

[3] GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.), Lexique des termes juridiques 2021-2022, préc., v° victime par ricochet

[4] C. civ., art. 1240. Sur ce point STARCK (B.), Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, préf. M. PICARD, L. RODSTEIN, 1947

[5] C. pr. pén., art. 2, al. 1er

[6] C. pr. pén., art. 85, al. 1er

[7] Cass. Crim., 23 juill. 1974, n° 73-93.383 ; 21 oct. 1982, n° 81-93.743 ; 7 mai 2009, n° 09-80.023, obs. DUPARC (C.), AJ pénal 2009, n° 9, p. 363 ; 4 avr. 2012, n° 11-81.124 ; 26 févr. 2020, n° 19-82.119, obs. PRIOU-ALIBERT (L.), D. actu. 15 juin 2020. Pour un aperçu d’ensemble des décisions rendues en la matière : BOULOC (B.), Procédure pénale, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 27ème éd., 2020, note 3, n° 273, p. 234 ; DESPORTES (Fr.), LAZERGES-COUSQUER (L.), Traité de procédure pénale, Economica, coll. « Corpus Droit Privé », 4ème éd., 2015, n° 1365 ; PRADEL (J.), Procédure pénale, Cujas, coll. « Référence », 20ème éd., 2020, note 1, n° 326, p. 315

[8] C. ass., art. L. 126-1, al. 1er 

[9] Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, JORF n°0020 du 24 janvier 2006, Texte n° 1, art. 20

[10] C. ass., art. L. 422-1 ; art. L. 422-2

[11] C. ass., art. L. 422-2, al. 3

[12] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.32

[13] À propos du mécanisme de protection : anc. Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, JORF du 14 juillet 1983, art. 20 ; CGFP, art. L. 134-1

[14] Délibération du conseil d’administration du FGTI du 19 mai 2014, citée par Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 38

[15] CA Paris, pôle 2, ch. 3, 4 janv. 2016, n° 15/16968, JCP A 2016, n° 3, act. 73

[16] TGI Paris, 18 juin 2018, cité par Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 38

[17] C. ass., art L. 126-1, al. 1er 

[18] Cass. Crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.264 

[19] Cass. Crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.670

[20] Cour de cassation, Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis, communiqué de presse du 15 février 2022

[21] FOURMENT (Fr.), « Recevabilité de la constitution de partie civile en matière de terrorisme : texte et contexte », note sous Cass. Crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.264, Gaz. Pal. 10 mai 2022, n° 16, p. 51 ; GOGORZA (A.), « Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis : nouvelle approche de la victime pénale des infractions terroristes », note sous Cass. Crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.264, Gaz. Pal. 19 avr. 2022, n° 13, p. 18 ; PARIZOT (R.), « Victimes par implication – . – La conception élargie de la notion de partie civile en matière terroriste par la Cour de cassation », note sous Cass. Crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.264, JCP G 2022, n° 17, p. 560

[22] C. ass., art. L. 422-1, al. 1er

[23] DINTILHAC (J.-P.) (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juill. 2005, p. 4

[24] MOR (G.), CLERC-RENAUD (L.), Réparation du préjudice corporel : Stratégies d’indemnisation, Méthodes d’évaluation, préc., n° 031.42

[25] Cass. 2ème civ., 15 déc. 2011, n° 10-26.386

[26] FGTI, Guide de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, p. 28

[27] « L’indemnisation des victimes d’attentat – 1re et 2ème parties », Gaz. Pal. 6 déc. 1946, n° 43, p. 74 ; 7 févr. 2017, n° 6, p. 53. Voir également CAYOL (A.), COVIAUX (A.), « L’influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel », Gaz. Pal, 29 mai 2018, n° 19, p. 38.  

[28] PORCHY-SIMON (S.) (dir.), L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, Rapport remis le 6 mars 2016

[29] Il est défini par le rapport comme : « préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez la victime, pendant le cours de l’événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confronté à la mort. »

[30] Il est défini par le rapport comme : « préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez le proche, du fait de la proximité affective avec la victime principale, une très grande détresse et une angoisse jusqu’à la fin de l’incertitude sur le sort de celle-ci. »

[31] FGTI, Guide de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, p. 18

[32] Ibid., p. 26

[33] Ibid., p. 25

[34] Ibid.

[35] Cass. Crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770 ; 15 oct. 2013, n° 12-83.055 

[36] Cass. Crim., 27 sept. 2016, n° 15-83.309 et 15-84.238 

[37] Cass. 1re civ., 26 sept. 2019, n° 18-20.924

[38] Cass. 2ème civ., 2 févr. 2017, n° 16-11.411 ; 29 juin 2017, n° 16-17.228 ; 14 sept. 2017, n° 16-22.013

[39] DINTILHAC (J.-P.) (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 41

[40] FERRAND (Fl.), « Les confusions du préjudice permanent exceptionnel », note sous Cass. 1re civ., 
20 oct. 2021, n° 19-23.229, Village de la Justice, 11 janv. 2022

[41] Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624

[42] Cass. ch. mixte., 25 mars 2022, n° 20-17.072

[43] BLOCH (L.), « Reconnaissance de l’autonomie des préjudices d’angoisse de mort imminente et préjudice d’attente et d’inquiétude », RCA 2022, n° 5, comm. 120 ; CAYOL (A.), « Consécration de l’autonomie des préjudices d’attente et d’angoisse de mort imminente », D. actu. 5 avr. 2022 ; GUEGAN (A.), « La nature indicative de la nomenclature Dintilhac consacrée par la chambre mixte de la Cour de cassation », 
Gaz. Pal. 10 mai 2022, n° 16, p. 16 ; JACQUEMIN (Z.), « Des préjudices d’angoisse adaptés à l’épreuve du terrorisme », Gaz. Pal. 17 mai 2022, n° 17, p. 1 ; JOURDAIN (P.), « L’autonomie consacrée du préjudice d’angoisse de mort imminente des victimes directes et du préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes par ricochet », JCP G 2022, n° 16, p. 513 ; LACROIX (C.), « Préjudice d’angoisse de mort imminente, préjudice d’attente et d’inquiétude des proches : reconnaissance de l’autonomie », AJ pénal 2022, n° 5, p. 262 ; PORCHY-SIMON (S.), « Reconnaissance de l’autonomie des préjudices d’angoisse de mort imminente de la victime principale et d’attente et d’inquiétude des proches par la chambre mixte de la Cour de cassation », D. 2022, n° 15, p. 774. Pour une présentation des avis sur le sujet antérieurement aux décisions : BESSON (A.), Rapport sur Cass. ch. mixte., 25 mars 2022, n° 20-17.072, n° 4.6, p. 12-14 ; SAMUEL (X.), Rapport sur 
Cass. ch. mixte., 25 mars 2022, n° 20-15.624, n° 3.8, p. 22-26

[44] BIGOT (R.), CAYOL (A), « L’influence du terrorisme sur l’assurance du dommage corporel », RGDA 2019, n°12, p.6